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Chapitre 7 : Un enfant à sauver

Illustré par Tchoucky


      Malgré le risque que cela comporte, Kara insiste auprès de sa mère pour qu'elle l'autorise à tenter l'expérience télépathique qui leur permettra de communiquer avec l'extraterrestre.


Janus Winnfield
            J'avais verrouillé le pont puis j'étais descendu à l'étage inférieur par les conduits pour voir le Silencer que j'avais repéré... D'après la description donnée par l'ordinateur du vaisseau, le Silencer était équipé d'un système de camouflage optique/radar très efficace. Malheureusement, cela faisait que l'armement était très léger...
            "Ca fait rien, je veux pas me battre."
            J’embarquai a bord. Les commandes étaient très simples et n'importe qui pouvait utiliser ce genre de chasseurs... Sûrement pour raccourcir le temps de formation de la chair a canon... J’activais le dispositif d'invisibilité immédiatement et décollais, ayant établi un point de route...
Après le début de la guerre, on compta plusieurs déserteurs. Certains établirent des campements, et d'autres s'installèrent dans des ruines... C'est le cas à Osakya. J'atterris juste à côté de la ville, dans un champ de ruines... Descendant de mon appareil, je partis tout droit vers la ville, et je trouvais vite la où s'étaient installés les fugitifs... Je frappais à une porte. Elle s'ouvrit. J'entrai dans la salle sombre qui s'offrait devant moi. A ce moment, la lumière s'alluma et je me retrouvais entouré de fusils braqués sur moi.
           "Bouge pas. ”
            Un homme en costume cravate noir arriva vers moi, me vit, et dit:
"Baissez vos armes."
            Ils s'exécutèrent.
"Ca faisait longtemps...Janus.
_ Je me disais ca aussi...Kyle"
            Kyle était un des hommes avec lequel je traitai régulièrement après mon évasion, avant son départ pour Osakya.
"Qu'est ce qui t'amène ici ?
_ Les affaires.
_ Droit au but, comme toujours.
_ J'ai besoin de matériel d'avant cataclysme et de vivres... Je peux voir quel est ton choix ?"
             Un quart d'heure plus tard, j’embarquais le tout dans le vaisseau. Kyle laissa échapper un sifflement.
"Tu vas partir en guerre avec tout ca ?
_ Disons plutôt que c'est une mission commando... Je suis sur quelque chose de gros... De très gros...
_ Et où tu as trouvé ce vaisseau?
_ Tu tiens à le savoir?
_ Euh...non...
_ Parfait. Bon, désolé de pas pouvoir rester longtemps.
_ On se reverra peut être...
_ Ouais. Salut"
             Je décollai. En rentrant au vaisseau, je dressais une liste dans ma tête:
            Mes couteaux.
            Mon USP.
            Des vivres.
            Un petit scanner de données.
            Une autre arme a feu d'avant cataclysme.
            Un crocheteur-électronique fait main qui utilisait une combinaison du crocheteur standard des Terriens et des Spaciaux trouvés sur les champs de bataille.
            Un micro directionnel.
            Ca me permettait de survivre pendant quelque temps tout en essayant d'en savoir le plus possible sur tout ce qui se passait sur le Magellan. Maintenant, tout l'art était de remonter sur le pont sans me faire repérer...
            J'atterris sur le Magellan en mode furtif, et je verrouillai le vaisseau avec le crocheteur. Pour avoir de nouveau la bonne combinaison permettant d'utiliser le vaisseau, il faudra que le crocheteur détecte mon ADN.
            L'ascenseur émit un petit "Ding"
            Quelqu'un venait !
            Je me plaquais contre un des murs du hangar, quand une voix plutôt jeune poussa un cri de surprise, puis dit:
            "5ème étage!"
             Je crus reconnaître la voix: Celle de ce type que j'avais anesthésié dans le vaisseau... L'ascenseur se referma. Je me repris et utilisai de nouveau les conduits pour regagner le pont. Quelque chose devait se passer dans ce cinquième étage, mais je n'avais pas encore réussi à accéder au système de caméras embarquées. Une fois arrivé, je me remis au travail en utilisant mon nouveau matériel...

Xorth
             Lilyah me fit comprendre que je pouvais commencer mais que la maman de Kara pouvait me faire arrêter s’il le fallait. J’acquiesçais de la tête et fit comprendre à Kara de me rejoindre. Mais sa maman la retint quelques instant pour lui installer quelque chose sur le bras.
“ Ne t’en fais pas Xorth, me dit-elle, c’est pour surveiller ma santé. Tu vois ?
          J'entendais ses mots sans connaître leur sens, mais grace au lien d'empathie qui nous reliait, je les comprenais. Elle me montra le petit appareil. Des choses étaient écrites dessus mais je ne savais pas les déchiffrer. Kara se tourna ensuite vers sa maman :
_ T’en fais pas maman, tout ira bien !
            Nous nous éloignâmes du groupe tout en restant visibles de tous. Je m’accroupis au sol et Kara fit de même en face de moi. Nous allions pouvoir commencer.
           Je commença par émettre des pensés apaisantes pour que Kara ne panique pas. Je sorti l’une de mes griffes et me fit une petite entaille sur le pouce, juste assez profonde pour qu’une petite goutte de sang coule. Je pris alors la main “ normale ” de Kara et fit de même. Je perçus un léger cri de sa maman quand ma griffe lui coupa la peau.
          “ T’inquiète pas maman, j’ai presque rien senti, dit Kara en regardant sa maman. ”
          Une petite perle rouge apparu. Cela me troubla : Mon sang lui, avait une couleur violette, tirant sur le bleu. Avec une certaine appréhension, je rapprochais mon pouce de sa plaie afin que nos sangs se mêlent. Aucune réaction de rejet n’apparut. L’échange du sang c’était apparemment bien déroulé.
         Je lui fis ensuite signe de me regarder droit dans les yeux, ce qu’elle fit. Pendant qu’elle me fixait ainsi, je me concentrais sur une pensée particulière, celle qui réveillait notre télépathie parmi les miens. Un flot immense d’information se mit alors à transiter entre moi et Kara : Mon expérience, tout ce que je connaissais sur la télépathie de mon peuple. Mais quelque chose clocha : Je recevais aussi des informations de sa part. Ce n’était pas normal ! Mais tant que le transfert n’était pas fini, rien ne pouvait l’interrompre, pas même moi ! Au bout du moment qui me parut une éternité, le lien se coupa. Je m’écroulais de fatigue mais juste avant de perdre connaissance, je vis Kara étendue sur le sol, inconsciente. Déjà sa maman courrait vers nous en criant des choses que je ne comprenais pas. Je voulus resté éveillé mais j’avais dépensé trop d’énergie. Je fermai les yeux, l’image de cette enfant sans connaissance me hantant l’esprit.

Jonas Atrayde
          J’avais à peine eu le temps de me remettre de cette légère frayeur en sortant des sous-sols, que je fus accueilli par celle qui m’avait odieusement obligé à y aller. J’enlevais rapidement ma combinaison et la laissai sur place. Elle m’invita à nouveau à venir avec elle. A ce moment, je n’avais qu’une seule envie, ou plutôt deux envies. C’était de m’allonger sur ma couchette et de préparer notre évasion, à moi et Mike. La 2ème était de lui mettre mon poing dans la figure…
            Voyant que j’étais réticent, elle me dit qu’il s’agissait d’assister à une expérience télépathique qui concernait sa fille. Un nouvel intérêt naissant en moi, je décidais de tout de même la suivre. J’étais curieux de voir ce que cela pouvait donner.
        Ma seule passion depuis mon engagement définitif dans l’armée avait toujours été les technologies de pointe, c’est ainsi également que je pouvais me tenir au courant des derniers types d’armes et d’engins que nous allions utiliser lors de nos futurs missions. A Etrenank, la technologie télépathique en était encore à la phase expérimentale. D’après les holodisques les plus anciens que j’avais vus il y a une dizaine d’années, j’avais vu et lu les essais des premiers prototypes de casques à transferts mentaux. Ils avaient valu aux malheureux testeurs des dégâts cérébraux allant de migraines chroniques à la destruction définitive de certaines parties du cerveau. Par contre, parmi les dernières nouvelles que j’avais vues, les prototypes s’étaient de plus en plus miniaturisés et les testeurs arrivaient déjà à envoyer des pensées à courte distance.
            Mais je fus frappé d’étonnement lorsque je vis Kara et la créature : ils ne portaient sur eux aucun dispositif de transmission télépathique, aucun équipement, rien.
           La doctoresse m’expliqua d’abord que sa fille était douée de capacités mentales depuis que son bras était devenu artificiel, une sorte de “ don ” qui lui permettait de transmettre des émotions par pensée. C’était déjà insensé, mais qu’elle me dise ensuite que c’était grâce à la créature que sa fille allait pouvoir développer ce “ don ” jusqu’à la VRAIE télépathie ! C’était impossible ! Aucune créature connue dans l’univers n’était capable de faire une telle chose !
           La mère de Kara brancha un pressuriseur cellulaire afin de surveiller si l'expérience allait bien se passer. L’homme chat et cette dernière s’éloignèrent de nous, ils s’accroupirent l’un en face de l’autre. La créature sortit une griffe et entailla le pouce de Kara. J'avais failli les arrêter, plus par réflexe qu'autre chose, mais il semblait que Kara n'aurait pas voulu. La créature fit de même avec son propre pouce, puis ils mélangèrent leur sang en se touchant. J'avais l'impression pour le moment d'assister à un rite barbare plutôt qu'une expérience télépathique...
          Je ne dis rien, mais j’étais sûr que cette tentative allait être un échec. Rien n’allait être possible sans équipement approprié ! Et surtout pas par un rituel aussi ridicule !
          Je voulais bien croire que la créature était douée d’une certaine intelligence, mais pas au point de surpasser les humains sur un point qu’ils commençaient à peine à maîtriser.
          Ils ne firent strictement rien en apparence, mais au bout de quelques minutes, ils tombèrent en arrière au même moment. C’était impensable ! Qu’avaient ils pu faire pour qu’ils perdent connaissance ?
Malgré moi, je fus parcouru d'un frisson au moment où les deux cobayes tombèrent. La doctoresse se précipita vers eux. Se pouvait il qu’il se soit passé quelque chose dans leur esprit ?

Franck Rhoan
           Je travaillais tranquillement. J’avais à ma disposition un remarquable matériel, bien que piètrement entretenu. Actuellement, j’essayais de reproduire la composition chimique de la coque du 2R2M. Ce métal devait résister à des radiations capables de faire fondre le titane le plus résistant en une seconde. Je m’appliquais à approcher lentement un extrait de diamant d’un bassin de synthèse contenant du dioxyde de sulfure concentré.
           "Doucement Franck, ne tremble pas si tu tiens à rester entier."
           Plongé dans mon travail, je ne m’aperçus pas que je n’étais plus seul. Lorsqu’une main se posa sur mon épaule et qu’une voix me cria presque dans les oreilles, je tressailli. Ma main dévia sur les commandes du bras manipulateur, et l’extrait de diamant tomba brusquement dans le bac de synthèse, provoqua une giclée de son contenu. Je m’écartais vivement, et retirait frénétiquement ma blouse, que je jetai ensuite avec précautions dans un stérilisateur. Je me tournais, et me retrouvait face à Atrayde, manifestement surpris de ma panique.
           “ Imbécile ! Lui criais-je. Une goutte de ce produit, et vous pouvez dire adieu à votre squelette ! ”
            Il ne parut pas troublé, et me mit tranquillement que Bah voulait me parler à l’infirmerie. Je le suivis en maugréant. Nous traversâmes le couloir, Atrayde droit et fier, moi légèrement voûté et pensif. Malgré le fait indiscutable que mon arme était efficace, je me souvenais clairement avoir constaté une sous-charge de puissance devant Itokyo. Pendant une seconde, le générateur à plasma avait été faible, et j’avais dû stopper le processus quelques instants pour qu’il se recharge.
            Peut-être qu’en stockant à l’avance de l’énergie en vue de combler cette sous charge et ainsi soulager le générateur je devrais éviter l’arrêt.
Au bout d’une série de calcul, je me décidais d’adopter cette technique. Restait le problème du test. Aucune incertitude n’était permise. Si j’incluais un nouveau système au 2R2M, il fallait des tests.
           Le mieux serait de fabriquer un prototype. Cela ne rajouterai pas beaucoup de temps. Oui. C’est plus prudent.
           Nous arrivâmes à l’infirmerie, et je constatais que tous étaient là. Je haussais un sourcil.
          “ Il parait que vous voulez me parler, dis-je à Bah, feignant d’ignorer les autres.
_ Oui, Rhoan. Le temps nous manque. Vous devez accélérer dans la construction de votre arme.
_ Je croyais pourtant avoir été clair sur le délai, répliquais-je, agacé.
_ Je viens de vous le dire : le temps nous manque.
           Me voyant septique, elle m’expliqua :
_ Nous avons tenté une expérience avec Xorth.
_ Xorth ? Relevais-je.
_ L’extra terrestre, précisa-t-elle en jetant un coup d’œil à l’homme félin, étendu sur un autre lit. Il nous a fait comprendre qu’il pouvait développer la télépathie de Kara. Nous l’avons laissé faire. Cela a manifestement épuisé l’organisme de Kara, qui résiste beaucoup moins au cancer depuis. Elle ne tiendra pas huit mois. Vous devez faire plus vite.
_ Pensez-vous m’émouvoir ? Je me fiche de cette fillette.
           Ses yeux s’agrandirent.
_ Mais c’est de votre faute si…
_ Et alors ? Je vous ai dit huit mois, c’est huit mois. Et encore, je suis optimiste. ”
           Elle se redressa brusquement, et nous nous affrontâmes du regard.
           "Ca sent l'orage."


Dr Nilane Bah
           Franck Rhoan. Ses cheveux blanchis par le travail, par les erreurs, les tâtonnements. Son dos voûté, fatigué. Son âme dure comme du granit, dans ce corps si faible, si facile à détruire.
            Derrière moi, c'est le silence. Lilyah et le mécanicien se sont regroupés autour de Kara endormie, assommée, épuisée, vidée de toute son énergie vitale, et plus en danger que jamais. L'extraterrestre, Xorth, allongé derrière, commence à s'agiter sur sa couche. Evidement, il récupère vite, lui. Il est fort, lui. Pas ma Kara. Pas ma petite fille.
           “ Cinq mois, dis-je d'une voix sourde. Cinq mois. C'est tout ce que je peux vous accorder.
_ Huit mois. Ou tuez moi maintenant. Ce que vous me demandez est impossible. Je regrette.
            Ce ton froid, simple. Comme s'il parlait du délai de construction d'un jeu vidéo.
_ Elle a dix ans, dis-je. Peut-être moins, je ne connais pas son âge exact.
_ En quoi est-ce mon problème ? Fait-il en haussant les épaules.
           Ma respiration se stoppe net. Je le regarde avec stupéfaction. Il me faut un instant pour réaliser que la question est sincère. Il ne voit réellement pas en quoi l'âge de Kara le concerne.
            Je lui saute à la gorge. Littéralement. Personne n'a le temps de m'arrêter. Je lui empoigne le col et le traîne devant la couchette de Kara, l'obligeant à coller presque son visage au visage d'enfant endormi.
           Je parle d'une voix sourde. Rauque.
           “ Regardez-la. Regardez-la bien."
            Rhoan essaye de s'arracher à ma poigne, mais je suis plus forte que lui. Lyliah et Mike, le mécanicien, ont eu un mouvement de recul. je resserre mes mains sur la nuque du savant, l'obligeant à rester en face de Kara.
_ C'est désagréable, n'est-ce pas ? C'est tellement plus pratique, de jouer à la guerre, quand les ennemis ne sont que des chiffres sur une feuille de papier. Qu'est-ce que ça fait, Rhoan ? Qu'est-ce que sa fait de découvrir qu'ils ont un visage, tous ces enfants qui vivaient à Itokyo, et que vous avez effacés comme des fautes d'orthographe sur une feuille manuscrite ?
_ Lâ... Lâchez moi, espèce de folle ! ”
            Je croise en face le regarde de Mike. Il paraît terrorisé, mais il ne bouge pas. Je sens soudain deux énormes mains – celles d'Atrayde – s'emparer de mes poignets et m'obliger à lâcher prise. Dans le même temps, Lilyah s'est précipitée et a pris Kara dans ses bras, l'emmenant à l'autre bout de la pièce. Rhoan se redresse, en se massant douloureusement la nuque. J'ai dû le serrer plus que je ne le voulais. Ou le vouloir plus que je ne m'en rendais compte. Je relève la tête vers Attrayde et lui crache à la figure :
            “ Otez vos sales pattes de moi ! Vous ne valez guerre mieux."
           Je me dégage. Rhoan me fait face.
_ Vous me comparez à ce militaire ? Vous avez vécu à Itokyo, donc vous savez pourquoi je l'ai détruite. Ce n’était pas une ville, Itokyo, c'était une base militaire. Les enfants qui y vivaient, s'ils avaient grandi, ils seraient devenu des machines à tuer, comme ce matador. Et votre Kara de même.
_ Personne ne m'a traité de... Commence Atrayde, mais je me suis mise à crier, plus fort que lui.
_ Oh, c'est bien commode ! C'est bien commode, de trouver ce genre de prétexte, juste pour ne pas admettre qu'on s'est juste laissé embrigadé comme les autres. J'ai vu tout ce que la guerre peut comporter d'ignoble, et j'ai certainement éprouvé plus de peur que vous deux réunis, mais j'ai tenu bon, moi, je n'ai pas choisi la solution de facilité, celle qui consiste à dire "que l'autre soit détruit, et j'aurais la paix". Pourtant, il n'est pas un être dans le système solaire, pas un seul qui n'ai souhaité que je survive. Pas un seul humain au monde ne s'est soucié de notre devenir, à toutes les deux. Vous avez effacé notre ville, détruit les vies de tous ceux que nous connaissions, comme si nous étions des vulgaires fourmis. Il a fallut s'enfuir plus vite que la lumière, la sale lumière blanche de votre sale invention, il a fallu courir. Elle était sur mon chemin, j'ai eu le temps de la ramasser. J’ai trouvé un véhicule encore en état de marche, pour m'enfuir encore. Mais la lumière nous a rattrapé, et lui a arraché son petit bras d'enfant. Elle hurlait, elle avait mal, je n'avais rien, rien pour la soigner. Le premier être humain en vie que j'ai pu apercevoir, pour nous aider, je me suis précipité vers lui. Mais c’était vous. Il a fallut me battre contre vous, m'enfuir, marcher des jours et des jours dans une lande déserte. Et l'empêcher de mourir. Je n'avais rien pour la soigner, rien, juste mes vêtements, que je déchirai pour faire des bandages. Je lui parlais. Je lui disais "Ne meurs pas, ne meurs pas, on va trouver des gens pour nous aider, ne meurs pas". C'est tout ce que j'avais. Quand je suis arrivée enfin à la civilisation, la milice est venue nous arrêter. Le gouvernement ne voulait pas laisser de témoin de vos petites manipulations, Rhoan. On m'a laissé au fond d'un trou, pendant des heures, sans eau, sans rien pour soigner Kara. Je continuais à répéter "Ne meurs pas, ne meurs pas, on va nous aider". Je savais que c'était faux, mais je continuais à le dire. Et puis les bombes ont commencé à tomber. Peut-être l'une d'elles venait-elle de votre vaisseau, Atrayde. Les sentinelles qui me surveillaient ont été tuées par la déflagration. J'ai quitté mon trou, sous un déluge de feu. Je la berçais, en courant, au milieu des explosions. Je chantais. Je savais que ma voix ne couvrirait pas le son, mais je le faisais. Et pas un seul instant, pas un seul instant, je n'ai songé à vous haïr, Rhoan, ni à haïr vos amis, Atraydes. Je ne songeais qu'à elle, qu'à elle qu'il fallait que je sauve à tout prix. Autour de moi, c'était encore pire qu'à Itokyo, à Itokyo, il n'y avait pas eu de sang, pas eu de corps, pas eu de membre déchiqueté, partout. Il y a eu ce bombardier, qui s'est posé, pour je ne sais quelle raison, sans doute une avarie. Je n'ai pas réfléchi, je suis montée à bord. Je suis restée cachée, jusqu'à ce qu'il décolle, jusqu'à ce qu'il rejoigne son port d'attache. Alors je me suis montré, j'ai juste dit que j'étais le docteur Nilane Bah, et que je demandais l'asile politique. Et j'ai continué à me battre Rhoan, pendant huit ans, et je n'ai jamais cessé de me le répéter dans ma tête "ne meurs pas, ne meurs pas". J'ai bien fini par comprendre qu'à part moi, tout le monde s'en foutait, qu'elle vive ou non. Mes connaissances en chirurgie ont intéressé les scientifiques, mais ma fille, elle pouvait crever, ce n'était le souci de personne. Mais je n'ai jamais arrêté de me battre, de garder ce but en tête, la sauver, uniquement la sauver. J'aurais pu choisir une autre obsession. J'aurais pu choisir de me venger, contre les terriens, contre les militaires, contre vous. C'est ce que font les gens, généralement. Mais moi, je n'avais pas peur de me remettre à vivre. Ca ne me fait pas peur, d'exister. Tant pis si vous, si Atrayde, le gouvernement terriens ou qui sais-je encore, préféreraient nous savoir réduites en cendre, moi et ma gamine. Que vous le vouliez ou non, je la ferais vivre, vous m'entendez ? J'en ferais une femme, de cette enfant que vous ne vouliez pas laisser grandir ! ”
           Je m'arrête, vidée de tout mon souffle. Un silence de mort est tombé dans la pièce. Tous me regardent, stupéfaits. Je me rends compte que des larmes coulent sur mes joues. Je les ravale. Je ne pleure jamais. Je n'ai plus pleuré depuis huit ans.
           Rhoan me regarde sans mot dire. Impossible de savoir ce qu'il pense. Une seconde interminable s'écoule. C'est comme si la moindre vibration de l'air allait faire exploser une nouvelle bombe.
“ Qu'espérez vous, me dit Rhoan d'une voix douce. Me faire pleurer ?
_ Non, dis-je. Vous ne pouvez pas pleurer. On ne pleure pas quand on sait qu'on a perdu. Retournez à votre labo. Je ne veux plus vous voir. ”
            Rhoan reste un instant face à moi. Il semble hésiter à obtempérer. Il doit chercher encore quelque chose à dire. Mais Mike l'a attrapé doucement, mais fermement, par les épaules.
            “ Si j'étais vous, mon vieux, je n'insisterais pas, et je sortirais sans rien ajouter. ”
            Il l'emmène hors de la pièce.
            J'ai le sentiment, d'avoir les jambes coupées. J'ai envie de me laisser tomber sur une chaise, mais je ne peux pas, pas maintenant.
            Un gémissement me ramène à la réalité. Xorth. Il est en train de se réveiller.
            “ Lilyah, s'il vous plaît, ramenez le à la mini-biosphère tout de suite, et s'il demande après Kara, rassurez le du mieux que vous pouvez, ne lui parlez pas de sa maladie. Il ne faut pas qu'il se sente coupable.
_ Bien docteur, fait Lilyah doucement. ”
           Elle emmène l'homme-chat. Je reste seule avec Atrayde, près du lit de Kara.
           “ Si je comprends bien, murmure le mercenaire, c'est l'homme qui a détruit votre ville et estropié votre gamine que vous venez de faire évader, et d'armer ?
_ Votre opinion est la dernière chose qui m'intéresse.
_ Tant mieux pour vous, je vous la donnerais quand même. Vous êtes minable, docteur, minable. Trop trouillarde pour vous venger. Vous vous accrochez à cette gamine comme à un prétexte pour ne pas vous battre, pour ne pas avoir le courage de...
_ De quoi ? Tuer Rhoan ? Vous tuer, vous et tous les autres ? Vous croyez que ça ira mieux, après ? Ou peut-être justement est-ce ce à quoi vous ne voulez justement pas penser, caporal, à après, au fait qu'il y aura un après la guerre, qu'elle finira d'une manière ou d'une autre, car la vie finit toujours par l'emporter, ça dure comme ça depuis des millénaires et je vous jure qu'en tant que médecin, je sais de quoi je parle. Et que ce jour là, les brutes avec un pois chiche dans la tête comme vous ne seront plus que des loosers inutiles, dans un monde qui ne veut pas d'eux, parce qu'il tend naturellement à la vie, pas à la destruction.
           Il ouvre la bouche pour répondre. Je ne lui en laisse pas le temps.
_ Oui, un looser, voilà ce que vous êtes. Quelqu'un qui ne veut pas admettre qu'il est un être humain, autant que n'importe qui, que ça l'émeut autant que n'importe qui, de voir un enfant qui meurt, quelqu'un qui a peur de lui-même. Un looser. Et comme naturellement mon opinion vous importe peu, je peux vous le dire. ”
           Je me repenche vers Kara, et je réfléchis. Je ne peux pas compter sur Rhoan. Il va falloir que je trouve un moyen de rendre à l'organisme de Kara l'énergie qu'il a perdu. Un moyen radical. Atrayde reste derrière moi, mais se tait.
            La porte de l'infirmerie s'ouvre. Lilyah et Mike sont revenus en même temps.
            “ Je vais avoir besoin d'aide, dis-je. C'est dangereux, donc, même si je peux vous obliger, je n'emmènerai personne de force. Mais c'est le seul moyen pour donner à Kara le délai dont elle a besoin.
_ Que faut-il faire ? demande Mike.
_ Sortir. Dans la forêt toxique. Certaines plantes y ont des vertus chimiques qui me seront utile pour faire une drogue suffisamment puissante pour rendre à l'organisme de Kara la force dont il a besoin. J'irais seule, s'il le faut.
_ Je viens avec vous, dis aussitôt Lilyah.
_ Moi aussi, renchéri Mike. Je ne laisserais pas une gosse mourir sans rien faire, moi. ”
                 Ils ont tout deux dit cela spontanément. Ca n'a l'air de rien, mais... C'est la première fois en huit ans. C'est la première fois que des gens me rejoignent, m'offrent leur aide. Les premiers qui ne veulent pas que ma Kara meure. Je voudrais leur dire quelque chose... Mais je ne trouve rien. J'esquisse un pauvre sourire.
              J'attends naïvement que Atrayde se manifeste, mais il ne dit rien. Je soupire.
              “ Je vais vous donner des combinaisons. Et de vraies armes.
_ Je vais venir, moi aussi, intervient aussitôt le militaire.
_ Tiens donc, souris-je sans joie. Dés que je parle de vraies armes ! Drôle de coïncidence. Vous restez ici, avec Rhoan. Vous devriez être fait pour vous entendre. ”

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