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Chapitre 12 : Souvenirs, souvenirs






Dr Nilane Bah :
Le Magellan vole. Le Magellan s'éloigne de la terre, à grande vitesse. Dans la cabine, personne ne parle. Nous regardons tous Jonas, qui, les mains sur les commandes, semble aussi stupéfait que nous.
Déserter. Jonas Atrayde vient de déserter. Il l'a fait comme cela, comme une évidence, pour sauver sa vie, et la notre en même temps. Il a choisi de vivre, cet homme qui semblait mépriser sa propre vie...
Et le Magellan vole. Il vole, après trois ans d'inactivité, d'entretien partiel. Mais pourquoi les Solariens ont-il abandonné un vaisseau pareil en orbite autour d'Etrenank ?
C'est la voix du balafré qui me tire de la torpeur :
_ On nous poursuit. Plusieurs appareils nous suivent.
_ Solariens, ou Terriens, demande Lilyah, d'un air distrait, comme machinalement.
_ Quelle importance, fait Jonas.
C'est la première fois qu'il parle depuis que nous avons quitté l'atmosphère. Sa voix est étrangement sourde. Il réalise ce qu'il vient de perdre. A cause de nous.
_ Oui, dis-je en soufflant. Quelle importance ? Maintenant, nous sommes des hors la loi, d'un coté comme de l'autre. Tous autant que nous sommes.
Je m'approche de Kara et la serre dans mes bras. Xorth, à coté d'elle, nous regarde un par un.
_ Mayke ? Où Maaike ?
Je reviens brusquement à la réalité.
_ Mike, l'armurerie, l'exosquelette !
Je me penche vers mes commandes et ordonne immédiatement la fin du mode "quarantaine". La porte du poste de commande se déverrouille, ainsi que toutes les portes à l'intérieur du Magellan
_ Je vais le chercher ! dis immédiatement Lilyah.
_ Je vous accompagne, intervient spontanément le Balafré, ce qui me surprend. On vous l'amène immédiatement dans l'infirmerie.
Tandis qu'il disparaissent tous les deux, je me tourne à nouveau vers le militaire.
_ Jonas, combien de chances avons nous de nous échapper ?
_ Vous me demandez conseil ? s'étonne-t-il.
Pas le moindre sarcasme dans sa voix. Il est encore sous le choc.
_ Oui, je vous demande conseil. Vous êtes notre pilote, à présent.
_ Votre pilote, répète-t-il.
Je me demande un instant s'il va répondre, mais il se contente de hausser les épaules.
_ En dépit de l'état dans lequel vous l'avez mis par votre négligence, ce vaisseau fonctionne normalement. Mais vous connaissez son histoire. Si le prototype n'a pas été retenu, c'est parce que son énergie est insuffisante pour passer en vitesse entropique fissionnaire. On nous rattrapera vite.
_ Qu'allons nous faire, maman ? Demande Kara dans mes bras.
_ Comme d'habitude, ma chérie. Courir et se cacher. Et rester en vie le plus longtemps possible, malgré tout ceux qui en veulent après nous.
Je viens de croiser le regard de Rhoan. Un regard délavé par les années de captivité.
_ Docteur Bah, me dit-il. Le générateur à Plasma, celui que vous m'avez pris...
_ Oui ?
_ Il faut me le donner maintenant. Maintenant. C'est notre seule chance de survie.
_ Vous voulez dire... Vous êtes sûr...
_ Nous n'avons pas le temps d'être sûr. Donnez moi ce générateur.
Je relâche mon étreinte autour de Kara.
_ Ma chérie, je vais revenir. Tu vas rester avec Xorth et Jonas. D'accord ?
_ Mais maman ?
_ Je reviens dans cinq minutes ! Suivez moi, Rhoan.
Je quitte le poste de commande, et entraine le savant fou dans le couloir, du coté des cabines, et pénètre dans l'une d'elle.
_ Ou je me trompe fort, ou nous sommes dans la cabine que vous avez assignée à notre amie rouquine, la traductrice ?
Je ne lui réponds pas. "Terre des hommes" est encore sur la table de nuit. Elle a du commencer à le relire. Je me tourne vers l'étagère qui contient les autres, et, délicatement, en prenant garde à ne pas les reverser, la désencastre du mur, révélant une petite cache.
_ Prenez votre générateur, Rhoan.
Le savant me regarde avec un sourire aux lèvres.
_ C'est à ça qu'il sert d'avoir des livres ?
_ Prenez votre truc, vite, c'est lourd, cette étagère.
Le savant attrape le petit objet dur et noir que j'ai conservé toutes ces années sans savoir ce que c'était et disparait avec à travers la porte. Je n'ai pas le temps de le suivre ; il me faut remettre l'étagère en place.
Quand je sors enfin de la chambre pour aller à sa poursuite, la voix de Lilyah se met à retentir dans les hauts parleurs.
_ Docteur, Mike est blessé, venez vite ! Il saigne beaucoup !
J'appuie sur la commande de l'interphone.
_ Où est-il touché ? Est-ce qu'il est conscient ?
_ Il saigne en haut du bras, près de l'épaule ! Et il est évanoui, mais il ouvre les yeux par moment.
_ Posez votre main sur la blessure pour arrêter l'hémorragie, j'arrive !
Mais où est passé Rhoan ?
Il n'y a qu'un moyen de le savoir vite. Je cours au réfectoire, là où j'ai installé des moniteurs pour surveiller l'ensemble du vaisseau. Il ne me faut pas longtemps pour localiser le savant, dans la salle des machines, son générateur à la main. Il est en train de le brancher à notre source d'énergie. Je le vois soudain s'écarter des machines, se tourner vers la caméra de surveillance et m'indiquer son travail terminé. Je retourne à l’interphone.
_ Jonas, passez en vitesse entropique fissionnaire. Maintenant.
_ Maintenant ? Pour aller où ?
_ Allez-y. Le cap, on s'en occupe après.
Moins d'une seconde s'écoule. Et je sens qu'il exécute mon ordre. Ce n'est pas comme si le Magellan était pris d'une secousse, c'est quelque chose d'approchant, mais c'est comme si, au contraire, pendant une seconde, la moindre molécule d'air autour de moi se fige. Ca ne dure qu'un temps. Aussitôt la manœuvre faite, je cours à l'ascenseur pour rejoindre l'infirmerie.
Dès que j'y parviens, des grognements se font entendre. La voix de Mike. Il a repris conscience.
J'entre dans l'infirmerie et voit le balafré qui pose les éléments guérisseur sur l'épaule du blessé.
_ Je me suis permis de le ranimer avec les sels trouvés dans votre armoire, me dit-il en m'apercevant.
_ Vous avez bien fait, réponds-je. Comment allez vous, Mike ?
Le mécanicien grimace.
_ J'ai connu mieux. Mais les autres sont dans un état encore pire, croyez moi.
Je regarde le Balafré.
_ Merci, dis-je.
Il hausse les épaules, mais n'a pas le temps de me répondre. La voix de Jonas se fait entendre à son tour dans les au parleur.
_ Docteur, nous sommes en vitesse entropique fissionnaire. Pouvez vous nous dire notre destination ?
_ Epsolin, Jonas. Epsolin.
Mike et Lilyah et le Balafré, me regardent. Je ne cherche pas à lire quel sentiment se reflète dans nos yeux.
_ À présent, nous ne pouvons plus reculer. Puisque personne d'autre ne le fera, c'est moi qui vais venir en aide au peuple de Xorth. Vous en êtes ?
_Oui, dit Mike.
_Oui, dit Lilyah.
_Oui, dit le balafré.
Je hoche la tête :
_Bien. Je vais pouvoir vous examiner plus amplement, Mike.
Soudain, cela déferle dans ma tête. Une voix qui m'appelle. Non, deux. Une qui répète "Soercay, soercay" et l'autre qui appelle "Maman, maman". Kara. Et Xorth. Je n'ai pas le temps de réagir, c'est maintenant une image mentale qui me parvient. L'image de ce qu'ils viennent de voir à l'instant. Dans la salle de commande, Jonas s'agite soudain. Hurle. Tape violemment sur son crâne. Kara a peur. Xorth essaye de parler, dans sa langue, ça sert à rien, il n'y comprend rien, le mauvais Dieu. Le mauvais Dieu arrache des fils devant lui. Des fils électriques, Maman a dit que c'était très dangereux ! Il les attrape à pleine main. Tressaute. Tombe à terre. Et ne bouge plus !

Vamy Lilyah :
Décidément tout se compliquait de plus en plus. J'aimais beaucoup l'action mais là, ça commençait à être beaucoup. A présent, nous étions en route pour Epsolin, la planète de Xorth. J'étais plutôt d'accord avec Nilane. Si ces créatures étaient malades, il fallait les soigner. Le seul problème était qu'il fallait être vivant pour y arriver. Je sentais que cette condition pouvait risquer d'être dure à remplir.
Alors que j'étais concentrée sur ces réflexions, j'aperçus Xorth et Kara entrer dans l'infirmerie complètement paniqués et déboussolés. Je me demandais ce qui avait pu se passer pour qu'ils soient dans un tel état.
Nilane comprit rapidement par les images mentales. Elle nous invita à la suivre moi et Rhoan. Parvenus au poste de pilotage, nous pûmes voir Jonas au sol sans connaissance.
_ Il faut le transporter à l'infirmerie, décida Nilane. Je l'examinerai en plus de Mike. Dépêchons !
Je m’occupai de prendre les pieds de Jonas tandis que Rhoan le prenait par les épaules.
Décidément. Et un autre de plus à l'infirmerie. Je n'aimais guère Jonas mais c'était quand même lui qui avait fait décollé le Magellan. J'espérais que ce serait la dernière personne que nous transporterions à l'infirmerie mais j'avais peur que ce ne soit pas le cas.
Finalement nous arrivâmes à l'infirmerie où se trouvaient évidemment Mike mais aussi Kara et Xorth, qui étaient toujours paniqué. Mike fut surpris en nous voyant porter Jonas. Rhoan et moi l'étendîmes sur un lit voisin de celui de Mike.
_ Jonas ? Qu'a-t-il ? Que s'est il passé ? demanda le mécanicien.
_ Ca, c'est la question que nous nous posons tous, fis-je.
Je m'éloignai un peu d'eux pour aller vers Kara et Xorth. La petite fille semblait essayer de rassurer Xorth mais celui ci semblait toujours paniqué. Je m'accroupissais pour être à la hauteur de Kara.
_ Qu'est qu'il a ? demandai-je.
_ Il est encore sous le choc de ce que nous a appris maman. Ensuite je lui dit que nous volions. Ca semble lui faire très peur, me répondit Kara.
Je tentais de réfléchir logiquement. Il était vrai qu'il n'avait pas l'habitude de voler dans un vaisseau spatial. Il fallait donc le rassurer. Ensuite aussi le calmer à propos des révélations.
Tandis que Kara m'aidait à lui parler par la télépathie, moi je me contentais de lui parler à l'aide de gestes ou de mots de sa langue, plus ou moins appris à force de le fréquenter, pour lui expliquer qu'il ne risquait rien dans le vaisseau. Ensuite je tentais de lui dire que même si les humains l'avaient crées, pour nous, il était un être indépendant et intelligent capable de décider ses actions et non le résultat d'une expérience. Je continuais. J'espérais que je pourrais le rassurer un peu. Je lui disais qu'il était un être pensant formidable peut être même plus que le reste de l'humanité. J'essayais de lui dire de ne pas s'en soucier. Seuls nous, voyions ce qu'il était vraiment.
Pour finir, je lui disais que nous allions nous rendre sur sa planète et nous sauverions son peuple. Ca paraissait stupide de dire cela. Nous n'étions pas certains d'y parvenir. Mais c'était sorti sans que je puisse y réfléchir.
Xorth me regardait encore un peu troublé.
_ Lilyah, pas mentir ? Vous aider Nimrodh ? fit Xorth bredouillant.
Je le regardais. J'hésitais à prononcer ces mots mais cela pouvait définitivement le rassurer. Je pris une inspiration profonde:
_ Je te le promets, Xorth, fis-je.
Xorth semblait rassuré. Cependant j'étais vraiment inquiète. Je m'étais engagée à ce que nous sauvions son peuple. Si nous échouions, j'aurais déçu ses espoirs et tout cela serait de ma faute. Non, nous ne devions pas échouer.

Jonas Atrayde

J'avais enclenché la vitesse entropique fissionaire du vaisseau, alors que c'était encore impossible quelques instants plus tôt. Ensuite, j'avais ressenti une violente douleur à un point très précis de ma tête. Je n'avais jamais ressentis ça avant ! C'était si atroce que j'avais envie de mourir pour ne plus rien sentir ! Plus rien d'autre que la douleur n'existait, il fallait que ça s'arrête ! Puis, plus rien…
La seule chose qui pouvait me sauver était le tableau de bord en face de moi. Je détruisis une partie de la console de commande, et de ma main ensanglantée, je pris les câbles qui en dépassaient à pleine main. Le choc électrique ne pouvait pas être plus horrible que cette douleur qui me rendait fou !
A présent, j'étais tout seul, dans le noir. Je n'éprouvais plus aucune sensation, mauvaise ou agréable. Je me demandais même si je n'avais pas perdu la vue. Je voulais penser, je voulais me souvenir, de n'importe quoi ! De quelque chose de banale ! De la dernière dégueulasserie lyophilisée que j'avais mangée ! Mais j'avais tout oublié, tout…
Alors que je me demandais ce que j'allais devenir dans cet espace noir et stérile, une lumière vint enfin éclairer mon chemin.
J'étais debout, je sentais la dureté du sol sous mes pieds, mais pas directement. J'étais en tenue, apparemment une tenue militaire sur laquelle était inscrit SASE… Section Air Sol Etrenank. Oui, j'étais dans cette section de l'armée depuis quatre ans… Il y a un vaisseau de transport lourd dont le sas était ouvert, à quelques mètres derrière moi. D’innombrables troupes habillées comme moi en sortaient. Il y avait quelque chose qui n’était pas normale : Ma vue se troublait parfois, suivant dans quelle direction je regardais. De plus, je ne distinguais aucune couleur autour de moi, tout n’était que noir et blanc. J’assistais au spectacle d’une marée humain qui se déversait rapidement jusqu’à ce que je crus bien être une ville enfumée, au loin. Je voulais encore penser, essayer de comprendre ce qui m’arrivait, mais c’était impossible ! Mon corps avançait dans la même direction que tous les autres, un fusil M320 à la main. Je voulais m’arrêter, demander ce qui se passait au premier type qui courait près de moi, mais je ne pouvais rien faire ! Est-ce que j’avais atterri ici juste pour être spectateur des évènements ?
En courant, j’entendais les autres autour de moi, ils me parlaient, mais je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Pourtant, mon corps leur répondait, dans ce même langage bizarre qui n’avait absolument aucun sens ! Mais cette scène c’était déroulé dans le passé… j’en étais sûr ! J’avais ensuite été muté dans une autre section de l’armée… Si je ne comprenais pas ce que l’on me disait, cela devait vouloir dire que ce n’était pas le plus important de mes souvenirs… des fragments de mémoire dont je me rappelais vaguement, mais qui n’avait pas assez d’importance pour que je les reconstitue parfaitement.
Mon corps courait toujours contre ma volonté. Ca ne pouvait pas durer plus longtemps ! Il fallait que je comprenne ce qui m’arrivait !
Il y a quatre ans… des troupes lâchées par milliers… des explosions qui retentissaient de partout… Mais oui ! La bataille Neo-Shasaki ! Ca avait été le plus gros fiasco d’Oblivion ! L’ennemi ne nous avait pas attendus, retranché à l’intérieur de la cité, mais ils avaient été embusqués dans ce qu’il restait des forêts avoisinantes !
Oh non ! Lyse, Lyse ! Il fallait que je la trouve ! Que je la prévienne de se mettre à l’abri ! S’il lui arrivait quelque chose... Pourquoi mon corps refusait toujours d’obéir ?
Mais il se mit soudain à ralentir et à scruter le champ de bataille. Incroyable ! Est-ce qu’il m’aurait enfin écouté ? Est-ce qu’il cherchait la même chose que moi ?
Je croyais bien que c’était le cas, mais c’était un hasard total. Le temps que je passais à chercher, le plus gros des troupes était déjà parti loin en avant. Je restais à l’arrière, presque seul, avec les retardataires et les soldats chargés de surveiller les alentours… Pendant qu’à l’avant, les autres étaient sans doute déjà en train de se faire massacrer, surpris par l’ennemi. Je la vis enfin.
Elle était fine, de longs cheveux roux descendant le long de son uniforme bleuté, la tête couverte d’un béret noir. Mais elle était penchée au sol… en train de soigner quelqu’un. J’étais encore à une cinquentaine de mètres d’elle, je m’avançais un peu plus. Quoi ? Un uniforme vert ? Le signe de Itokyo sur son épaule ? C’était un soldat ennemi !
« C’est pas vrai ! »
C’est alors que cela me revint en mémoire, d’un seul coup… Non, il fallait à tout prix que je cours maintenant ! Que je la force à abandonner ce soldat agonisant ! Mais mon corps refusait de bouger… il n’y avait aucun danger à l’horizon.
C’est alors que je le vis sortir de derrière un énorme rocher, abaissant son camouflage optique. Cet autre soldat ennemi qui se dirigea vers Lyse, toujours penchée… cette fois, mon corps réagit, exactement comme il l’avait déjà fait. Non ! Je voulais arriver à temps !
Que cette scène ne se reproduise pas encore une fois ! Il faut que j’y arrive, que je la sauve ! Vite tirer sur ce soldat ! Je ne veux pas être forcé à assister à ça ! Pas encore ! LYYYYYYYYYYYYSE !
C’était déjà trop tard… une gerbe de sang éclaboussa l’uniforme du soldat, tuant du même coup celui qui agonisait. Elle tomba, les yeux grands ouverts, dans la terre sèche que la pluie toute récente commençait déjà à mouiller. Je courrais toujours, mais fier de son massacre, l’ennemi ne me remarqua pas à temps avant que ma crosse ne lui décroche la mâchoire. Il tomba à son tour, j’écrasais son ventre avec mon pied, l’empêchant de bouger…
Les yeux plein de haine, la rage au cœur et les yeux emplis de larmes, je vidais plusieurs de mes chargeurs dans sa tête de monstre assassin ! J’en faisais de la bouillie ! CREVE LAMB ! CREEEEEEEEEEVE !!!
JE VOUS CREVERAIS TOUS !! JUSQU’AU DERNIER !!! JE VOUS DEFIGURERAIS TOUS !!!
Mon corps lâcha le fusil, à bout de souffle, puis tout à coup, je me retrouvais à nouveau dans le noir. Pourquoi ? Pourquoi est ce qu’on me faisait revoir cette scène alors que je ne pouvais rien y changer ? Qui m'avait fait ça ? POURQUOI ?

Dr Nilane Bah :
Pas la moindre lésion. Le pouls bat normalement. La respiration est régulière, même si elle est trop saccadée pour être la paisible respiration du sommeil. Le malade est en parfaite santé. Mais il ne se réveille pas.
Rhoan est resté à mes cotés. Il m'observe m'affairer autour du militaire inconscient. Nous sommes seuls dans l'infirmerie. J'ai envoyé le balafré ramener Mike à sa cabine. Il est hors de danger, à présent, et il sera plus à l'aise dans sa chambre que dans cette infirmerie. Mais je n'arrive pas à comprendre ce qu'a Jonas Atrayde.
_ Alors ? Qu'est-ce qu'il a ? me demande le savant.
_ Je ne sais pas, dis-je.
Je n'ai pas envie de l'affronter maintenant. Je veux me concentrer sur Jonas. Je veux comprendre.
Il n'a même pas gardé de trace de brûlure de son électrocution. Son corps va anormalement bien. Il va très bien, mais sa conscience est bloquée quelque part derrière ses paupières closes. Pour une raison que j'ignore, cet homme est tombé dans un coma profond.
_ Vous n'êtes pas obligé de rester, Rhoan. Je peux très bien l'examiner toute seule.
_ Je sais. Je ne suis pas là pour vous aider, je m’instruis. Vous observer travailler est très instructif.
_ Instructif ?
_ Instructif, oui. Vous avez une conduite très professionnelle, et je trouve ça instructif.
_ Je n'ai pas le temps de jouer, Rhoan. Au fait, s'il vous plait.
_ Cet homme, vous ne le portez pas dans votre cœur, il me semble. Je m'étonne de l'extrême douceur de vos gestes envers lui. Vous ne preniez pas autant de précaution avec Mike, et même avec votre gamine. Mais peut-être cette douceur est-elle pour vous le moyen de résister à l'envie de profiter de sa vulnérabilité pour vous débarrasser de lui, une bonne fois pour toute, comme vous mourrez certainement d'envie de le faire.
_ Si ça vous amuse d'imaginer que tout le monde est comme vous, allez-y, mais dispensez moi de vos conclusions, je suis occupée, là.
_ Je sais, je sais. Bon, aucune trace.
_ Aucune. Mais d'après Xorth et Kara, il a commencé par porter les mains à sa tête et à s'agiter dans tous les sens. Je vais faire un scanner de son cerveau.
Je déplace la couchette roulante jusqu'au scanner et y installe Jonas. Devant moi la surface vitreuse réfléchit ce qu'il y a derrière moi, et j'aperçois soudain le visage de Rhoan, à l'arrière. Le masque d'ironie et de sarcasme a disparu, c'est un visage désespéré, épuisé et fantomatique, que je vois. Je sursaute et me retourne, mais le savant a repris son expression habituelle si vite que je pourrais presque me demander si je n'ai pas rêvé.
_ Qu’avez vous, me demande-t-il, d'un ton moqueur. Peur des esprits frappeurs ?
_ Rhoan... Vous allez bien ?
_ Vous voulez dire, à par le fait que je suis embarqué dans un vaisseau en direction d'un système abandonné depuis des siècles en compagnie de gens tous plus stupides et fous les uns que les autres, que deux armées cherchent à mettre la main sur moi, ce qui m'oblige à rester avec les dits gens et que je n'ai que huit mois pour recréer un prototype qui m'a pris des années d'élaboration ? Oui, je crois qu'on peut dire que ça va.
Je reste immobile face à lui, incrédule. Je ne saurais dire pourquoi voir quel est son visage quand je lui tourne le dos m'a bouleversée à ce point... J'hésite un instant quand à ma réaction, mais sentant que Jonas Atrayde constitue l'urgence du moment, je renonce à insister et déclenche le scanner.
Devant moi, sur l'écran, une coupe transversale du cerveau du militaire s'affiche lentement. Une petite gêne s'est installée, au creux de mon estomac. Quoi donc, ce n'est pas comme si je scannais l'âme de mon adversaire, et pourtant, tout ce que cet homme a vécu, tout ce qu'il a été, tout ce qu'il a espéré ou souffert, tout cela est bien contenu dans cette petite masse de tissus et de fluide dont la photographie est peu à peu en train de se révéler à moi.
Goran Moberg me reprocherait mon irrationalité, mais je refuse de faire taire la voix de mon subconscient. Je garde en tête ces pensées absurdes qui m'empêchent de devenir une froide machine à raisonner comme la plupart des médecins de la Colonie, et j'attends cette vérité que le scanner me montre. C'est sans surprise que j'y trouve exactement ce que je cherche.
_ Rhoan, venez voir. Je veux votre avis sur ça.
Le savant s'approche et aperçoit à son tour le détail intriguant. Au niveau du cerveau reptilien de Jonas Atrayde, se tient un petit objet longiligne qui n'a rien à faire là.
_ Pourriez vous agrandir l'image ? me demande Rhoan, soudain intéressé.
Je zoome sur l'endroit qui retient notre curiosité. L'objet est métallique, de forme tubulaire, et semble accroché au cerveaux par des électrodes.
_ Un implant mental ? s'étonne Rhoan. Je n'aurais pas cru que ça existait.
_ Ca n'existe pas dans les hôpitaux civils d'Etrenank. A quoi ça sert à votre avis ?
_ Je doute que ce soit assez puissant pour obliger notre homme à suivre une volonté qui n'est pas la sienne. Je pencherais plutôt pour une modification de certains modes de pensée. On peut lui avoir mis ça pour l'obliger à haïr les Lamb. Ou pour modifier un souvenir gênant. Vous permettez ?
Il quitte l'infirmerie et revient quelques minute plus tard avec une sonde magnétique.
_ Sortez le militaire du scanner.
Je tire le brancard à l'extérieur. Rhoan pose la sonde sur la nuque.
_ L'objet semble ne plus fonctionner. Mais impossible d'en être sur.
_ Rien de ce qui est électronique ne vous résiste. Arriveriez vous à le rendre définitivement inoffensif ?
_ Si j'essayais, il est probable que je réussirais, me réponds le savant en remettant la sonde sous son bras et en s'éloignant.
Son ton, qui quelques minutes auparavant avait pris l'accent intéressé du scientifique qui découvre une chose qu'il ne connait pas, est redevenu celui, acerbe, de l'homme qui se fiche éperdument de tout.
_ Hé ! fais-je malgré moi. Cet homme a besoin de votre aide.
Ravi de ma réaction, il se retourne en me souriant jusqu'aux oreilles.
_ Mon cher docteur Bah. Contrairement à vous, si vous ne l'avez pas encore remarqué, je ne suis pas pétri de bons sentiments. Cet homme représente tout ce que je méprise le plus au monde. C'est une chose de m'engager à sauver votre fille en échange de quelques menus services. C'en est une autre de sauver un militaire.
Je soupire. Inutile d'insister, je perdrais mon temps, et justement, je n'ai pas de temps à perdre.
_ Bon. Dans ce cas, je n'ai pas le choix. Je vais l'opérer pour lui retirer cette chose.
_ Vous allez faire ça. J'espère que vous avez de l'expérience en neurologie.
_ Aucune. Remontez dans votre cabine, informez les autres du fait que je vais être indisponible quelques heures durant et qu'on s'organise sans moi, et envoyez moi le balafré. Il a l'air de connaitre un peu son fait, et je vais avoir besoin d'un assistant.
_ Voilà qui promet, qui promet vraiment, murmure Rhoan en sortant.
J'ai envie de l'insulter, mais le souvenir du visage que j'ai aperçu dans la vitre du scanner me revient, paralysant ma colère. J'essaye de ne pas m'attarder sur cette pensée que je ne comprends pas, et m'affaire auprès de Jonas.
Il a beau être inconscient, mieux vaut que je lui fasse une piqûre anesthésiante, pour être sûre qu'il ne bouge pas pendant l'opération. Je l'observe. Les traits de son visage se sont imperceptiblement tendus. De quoi peut-il être en train de rêver ?

Jonas Atrayde :

Souvenirs… le souvenir le plus douloureux… et je venais de le revivre comme si j’y avais été. J’étais effondré, totalement miné ! Détruit plus que je ne l’étais déjà !
Pourquoi est ce qu’on me faisait ça ? Je n’étais pas prêt de le savoir…
J’étais toujours dans le noir complet, je ne sentais à nouveau plus mes membres, tous mes sens avaient une nouvelle fois disparus. Je fus pris à nouveau d’une sensation bizarre qui se transforma en douleur. La même douleur que j’avais ressentie lorsque j’étais encore conscient ! Même dans cet espace sombre je n’en serais pas débarrassé !
Cependant, cela ne dura qu’un instant. L’instant d’après mes yeux se fermèrent, puis mon corps se raidit. Je n’en avais toujours pas le contrôle, mais je sentais bien que je n’aurais pas pu le bouger même si je l’avais pu. Je tentais d’ouvrir les yeux pour voir ce que l’on avait encore à me montrer, mais je n’y arrivais pas ! Mon sens du touché revint le premier, je pus sentir alors le contact froid et métallique d’une plaque dans mon dos. Mes poings et mes jambes étaient attachés, mais je ne pouvais toujours pas ouvrir les yeux. J’entendais des gens parler, des bourdonnements et d’autres bruits bizarres… Je n’arrivais pas à comprendre grand-chose, mais j’écoutais ce que je pouvais avec la plus grande attention possible. Je me sentais mal à l’aise quand j’écoutais cette voix… J’avais l’impression d’avoir le souffle tellement oppressé que j’aurais étouffé si la voix n’avait pas fait des pauses. Pourquoi est ce que j’entendais cette voix ? Je ne l’avais jamais entendue avant.
Je comprenais de plus en plus de mots, ça me permettait de reformer des phrases… Son langage restait très scientifique… Il ne me parlait pas, on aurait dit qu’il récapitulait des opérations.
Désactivation des capteurs neuronaux… Stimulation émotionnelle prête… Devrait aller pendant l’opération… Atrayde… programme Lamb en cours de chargement…
Au moment où il cessa de parler, je pus enfin ouvrir les yeux… mais ça ne m’aida pas beaucoup ! J’avais l’impression de voir au travers d’une vitrine déformante rayée de partout. Je pus voir une sorte de lampe au dessus de ma tête, dont la lumière bleutée m’aveuglait… J’avais mal à la tête, terriblement mal à la tête… J’arrivais à légèrement la tourner, et j’aperçus vaguement une autre table d’opération comme la mienne, avec quelqu’un dessus… Un homme, blond, cheveux courts… Il ne bougeait pas… je n’aurais pas pu savoir qui c’était si l’autre homme ne s’était pas approché de lui en disant « Belnades ».
Jowy ? Mais qu’est ce que je faisais ici ? Qu’est ce qu’IL faisait ici ? Qui c’était ce gars en blouse ? Qu’est ce qu’il nous faisait ?
De la lumière au dessus de moi, je vis jaillir un faisceau laser qui vint s’abattre entre mes yeux ! Encore cette même douleur atroce ! Je sentais que mes veines allaient éclater !
Quand soudain, ce fut encore le noir complet… Qu’est ce que c’était que cette scène ? Je ne me souvenais pas avoir vécu ça ? Mais qu’est ce qui m’arrivait ? J’étais perdu, perdu, perdu ! Il fallait que je sorte de là ! Ou que je sache ce qu’il m’arrivait !
Et Jowy… pourquoi lui ? Qu’est ce qu’il foutait dans mes souvenirs ? Quel cauchemar j’étais en train de faire ?

Dr Nilane Bah
Le silence dans l'infirmerie est plus lourd qu'une chape de plomb. Je suis heureuse du silence de mon compagnon. C'est ce dont j'ai besoin, en ce moment. Une présence qui ne parle pas. Peu importe, après tout, toute les raisons que j'ai de me méfier de lui. J'avais besoin de quelqu'un pour me passer mes ustensiles au moment où je les réclamais, et il l'a fait, sans commentaire, sans question. Il m'a laissé œuvrer, tranquillement, tâtonner, sans chercher à m'interroger, à me presser pour savoir si je savais ce que je faisais. Il s'est contenté d'être là, pendant toute l'opération, et c'est ce dont j'avais besoin.
Je n'arrive pas à croire que j'ai réussi. C'est la chose la plus difficile que j'ai tentée depuis huit ans. Je n'arrive pas à croire que je l'ai faite. Je croyais que Kara était la seule pour laquelle je pourrais faire une pareille folie.
Au fond, Xorth avait bien raison. Je suis quelqu'un qui guérit, qui fait tout pour guérir, c'est en moi, c'est écrit dans les plus infimes parties de mon être. Je ne peux pas m'en défaire. Tant qu'il y aura quelqu'un à sauver, et une chance de le sauver, je tenterai toujours ce qu'il y a de plus fou, et ce, sans me demander si la personne le mérite, si elle est mon amie ou mon ennemie. Je suis médecin. Médecin jusqu'au fond de l'âme. Je ne pourrais jamais m'en empêcher.
L'implant est posé dans ma paume. C'est si petit. C'était si dur à extraire. Si délicat de ne pas déchirer les indispensable tissus auquel il était accroché.
Le balafré s'est assis en face de moi, il a retiré son masque et ses gants. Il ne parle pas. Je vois sur ses lèvres un semblant de sourire.
Je voudrais l'interroger à nouveau. Lui demander qui il est. Ce qu'il cherche près de nous. Je voudrais savoir si je peux ou non lui faire confiance. Je me retiens. Il a fait ce que j’attendais de lui. Cela ne lui donne pas ma confiance, mais cela signifie au moins que pour l'instant, je peux me dispenser de l'interroger.
_ Puis-je savoir votre prénom ? Dis-je simplement. Votre vrai prénom. Juste cela.
_ Janus.
_ Le Dieu du destin ? Il faut croire que vous n'étiez là que pour éviter à Mike et à Atrayde de succomber.
Il ne répond pas. Le sourire ironique qui vient de paraître sur son visage n'a rien de joyeux.
Je suis épuisée.
_ Quelle heure est-il ?
_ 22h30 à Itokyo. Ici, je ne sais pas.
Je me relève, et va rejoindre le brancard où Atrayde est couché, la tête bandée. Il devrait se remettre assez facilement de l'opération. Sur sa nuque rasée, les élément cicatrisant on déjà commencé à agir. L'anesthésiant que je lui ai injecté cesse déjà d'agir. Il s'agite légèrement dans son sommeil. Et gémit.
_ Alors ? demande Janus.
_ On a fait du bon boulot. Maintenant, c'est surtout de chance, qu'il a besoin. Nous ne sommes certainement dans l'endroit idéal pour lui porter assistance s'il y a le moindre problème. Faut espérer que vous continuerez à lui porter bonheur.
_ Il n'a pas l'air en forme.
_ Il doit rêver. Il faudrait trouver un moyen de l'apaiser, mais je n'aime mieux pas lui injecter de morphine. Cela risquerais de laisser des séquelles.
Atrayde gémit encore. Sur le brancard, sa main droite bouge imperceptiblement, comme à la recherche de quelque chose. Ses lèvres tente d'articuler un mot.
_ llllllllhhhhh.... souffle-t-il. Lhhhhhiiiihhhhs…
De l'eau ? Il réclame de l'eau ? Non, c'est autre chose. C'est un nom. Un prénom.
_ L.... Lyse...
_ Je suis là, Jonas, lui dis-je sans trop chercher à comprendre. Il n'y a rien à craindre.
Sur le brancard, sa main trouve la mienne et se referme dessus. Sa respiration se calme aussitôt. Mais ses traits de se détende pas.
Je me sens mal à l'aise. Je voudrais m'en aller, mais je ne peux pas le laisser seul, pas maintenant.
Absurdement, j'ai l'impression que tout n'est pas fini, que le combat que nous menons depuis quelques heures, lui, Janus et moi, continue encore, et va devenir plus dur, plus difficile. Il lui reste encore du chemin à faire avant de reprendre conscience, et il va devoir le faire seul.
_ Je vais rester près de lui, dis-je à Janus. Allez dormir.
_ Et vous ?
_ Je dormirais ici au cas où. Allez-y.
Le Balafré s'éloigne, me laissant seul avec le malade. Pas encore apaisé, celui-ci s'agite.
_ M... Ma Lllll...
_ Je suis là, Jonas. Je veille sur toi. Je ne m'en vais pas.

Jonas Atrayde
J'abandonnais. Je ne pouvais pas lutter contre les événements du passé… Mais quel passé ? Je ne le connaissais même pas ! Je ne me rappelais rien de cette seconde vision ! J'avais l'air d'être le cobaye de je ne sais quel savant fou ! Et Jowy… Je ne l'avais vu qu'un cours instant, il n'avait rien pu faire non plus. Dans quel, mais dans quel cauchemar on m'avait soudain forcé à embarquer ?
A nouveau, je vis une lumière au loin, dans mon cloître noir. Mais cette fois, elle ne bougea pas. Elle ne vint pas vers moi. L'intérieur de ce cercle de lumière était flou mais je reconnaissais ce qu'il y avait : C'était le même champ de bataille de Néo Shasaki. Un nouveau souvenir ? Comme celui que je venais de voir ?
Qu'est ce que je devais faire ? Y aller ? Pour, si ça se trouvait, voir une chose horrible où j'étais impliqué ?
Non, je ne voulais pas ! Je ne voulais plus savoir ! Je m'en étais déjà trop rappelé sur mon propre compte ! Je voulais rester dans mon ignorance ! Je voulais rester ici, dans ce froid, pour tout oublier encore une fois, absolument tout… Tout, y compris Lyse…
Lyse, c'est à cause d'elle tout ça ! Si je ne l'avais jamais connue ! J'aurais pu tranquillement atteindre le sommet dans l'armée sans me soucier de ce qu'en pensaient les autres ! J'aurais pu vivre sans compromis ! Sans soucis ! Sans scrupules ! Sans inquiétudes… et… et sans amour…
Lyse, pourquoi est ce que tu m'avais autant donné ? Tu n'avais rien eu en échange ! Tout ce que tu voulais, c'est que mes lèvres puissent encore continuer à effleurer les tiennes… tu voulais simplement être près de moi. Et ça, je n'avais même pas su te le donner… Ma "carrière" comptait beaucoup trop à mes yeux aveugles. Tandis que toi, ton métier de médecin, tu n'en aurais changé pour rien au monde… Si justement ! Tu l'aurais changé volontiers pour être plus prêt de moi. Mais moi, qu'est ce que j'aurais fait ? Je n'avais aucun courage, aucune volonté qui ne m'appartienne. L'armée était mon seul amour, pour moi, tu n'étais qu'au second plan… Et quand tu étais définitivement partie du monde physique, j'avais encore plus sous estimé le courant d'amour qui passait entre nous deux…
Lyse, pardonne-moi. Je ne veux plus oublier, plus rien ! Je veux me souvenir ! Je veux savoir ! Je veux savoir la vérité !
Je me relevais dans le noir. J'avais l'impression de traîner un boulet de dix tonnes au pied. J'atteins la sortie.
Je me retrouvais dans mon corps, tout le paysage autour de moi était beaucoup plus clair que la 1ère fois. J'étais caché, assis derrière un mur, sans doute. Lyse, je me faisais du souci pour elle, cette bataille était une véritable boucherie ! Même à l'arrière en soignant les blessés, elle courait toujours un risque. Je pris mon communicateur et l'appelais.
"Jonas, tout va bien, je t'assure !"
_ Où tu es ?
_ Près de la forêt de… pas très loin de la ville !
J'entendis vaguement une voix, une voix asiatique… Non, elle n'avait pas osé ?
"Arrêtez de bouger, ça sera plus simple !"
_ Qui est avec toi ? C'est un Japonais ?
_ Mon lieutenant ! me répondit elle sévèrement. Je suis médecin de terrain, je DOIS soigner les blessés !
_ Mais pas un soldat ennemi !
_ Même s'il ne s'en sort pas, je veux qu'il meure sans souffrir !
_ Sans souffrir ? Lyse, c'est la guerre ! Il aura souffert quoi qu'il arrive !
_ Alors… autant qu'il souffre le moins, physiquement !
Nous en avions déjà parlé, mais elle n'en faisait toujours qu'à sa tête. Il fallait vraiment que je l'aime… Je ne pouvais pas rester ici alors qu'elle était seule avec un soldat ennemi, sans doute pas armé, mais seule ! Mais pour la rejoindre, je devais déserter le front… J'espérais faire ça le plus discrètement possible pour que cela ne se remarque pas.
_ Je viens te rejoindre, ne bouge pas !
_ D'accord… sois prudent !
_ C'est plutôt à toi d'être prudente !
Je décrochais et je me dirigeais hors des limites de la ville. La marche jusqu'à la forêt était longue, c'est en chemin que j'entendis, cette fameuse conversation… J'en eut mal au crâne… Comment, est ce que j'avais pu oublier ça ?
"Jowy ! Qu'est ce que vous faites là ?"
Ca provenait de mon communicateur, Lyse ne l’avait pas éteint !
"J'ai descendu une 10ène de ces pourritures et je vous ai aperçus !… Mais, qu'est ce que vous faites ?"
_ Je fais mon métier !
_ Mais c'est un soldat japonais !
_ Oui, et il agonise ! Vous ne m'aidez pas, Jowy !
_ Arrêtez ! Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faites ?
_ Si ! J'accorde une dernière chance à un homme qui aurait pu mourir !
_ Mais c'est un LAMB, Lyse ! Un vulgaire LAMB !
Le ton de Jowy commençait à ne plus me plaire. La terre défilait plus vite sous mes pas.
_ Votre racisme ne concerne que vous ! J'ai un blessé à soigner !
_ Venez !
Mon communicateur se brouillait, qu'est qu'ils étaient en train de faire ?!
_ Lâ… moi !
Lyse…
_ Aban… ce… amb !
_ Laissez moi faire mon travail !
J'entendis une arme se charger… Oh, non, non, non !
_ Qu'est ce que vous faites !
_ Je vous ordonne de laisser ce Lamb…
_ Je ne trahirais jamais mon devoir de médecin.
_ Et vous trahirez votre race si vous continuez !… Lyse, ne m'obligez pas à…
Des bruits métalliques ! Ils devaient être en train de se bagarrer ! Vite ! Il fallait que j'arrive avant que cela ne finisse mal !
_ … êtes fou !
_ LYSE !
Un coup de feu… J'arrivais enfin aux abords de la forêt, au détour d'un arbre énorme, lorsque j'entendis un 2ème coup de feu.
Je le vis. Jowy, son arme au poing, face aux corps du soldat et… à celui de Lyse. C'était encore pire que tout ce que j'avais pu imaginer ! Mon meilleur, mon seul ami que j'avais dans toute cette foutue armée ! Il avait abattu de sang froid ma Lyse, ma pauvre Lyse ! Tout ça pour satisfaire sa haine pour les Lambs ! Je ne lui pardonnerais jamais ! Je vais le tuer moi-même, maintenant !
Je me glissais dans son dos, il ne m’entendit pas arriver. Je le planquais au sol et dégageais son arme ! Il n'eut même pas le temps de crier mon nom que je m'agrippais à sa gorge !
Maintenant, je la revoyais parfaitement, cette scène ! Rien n'était flou ! Comme si je la revivais une nouvelle fois dans le passé !
Mes larmes qui coulaient à flots ! Mes dents qui se serraient si forts que j'en avais mal ! Cette sensation sur la peau du cou de Jowy !
_ Ordure ! Je veux que tes yeux sautent de ta tête !! ORDURE ORDURE ORDURE !!
J'entendis alors à côté de nous quelque chose tomber, mais je m'en foutais ! Je voulais arracher la tête de Jowy et après, lui arracher les cheveux ! Je le ferais pourrir à six pieds sous terre !
Mais ce "quelque chose" à côté de nous attira notre attention malgré nous. Un gaz verdâtre s'en échappa. Les yeux de Jowy se fermèrent… puis ce fut les miens. Le néant, le noir…
Jowy… c'était lui. C'était lui l'assassin, depuis le début. Mais il n'y avait pas que lui… l'armée entière ! Cette organisation pour laquelle j'avais dévoué ma vie ! Mon existence tout entière ! Elle m'avait poignardé dans le dos et a fait de moi une machine, une machine à tuer… Mais est ce que c'était vraiment de leur faute ? Et moi là dedans ? Je n'étais pas innocent, pas innocent du tout… Lyse, est ce que tu pourrais jamais me pardonner ? Et les Lam… les Terriens. Tous les Terriens que j'avais tué depuis que tu n'étais plus là ? Est-ce qu'ils pourraient me pardonner aussi ? Tous ces hommes, femmes et enfants qui étaient morts pour moins que rien ?
C'était impossible de tout refaire. A présent, il me fallait prendre un nouveau chemin… tout me revins en mémoire, ce semblant cauchemar était fini.
Le Docteur Bah, Mike… tous ceux là, qu'allaient ils en penser… rester ? Pour les beaux yeux de Kara ? Pour ce savant fou ?… Pour Lyse ?
Pour elle, oui, mais aussi pour moi. Je ne veux plus, de là où elle se trouve qu'elle pense que je suis un lâche qui fuit la réalité depuis ce temps là. On m'y avait forcé, mais je n'avais même pas résisté.
Je ne voulais plus être l'homme qu'elle avait eu le malheur de connaître, même si elle l'avait aimé, cet homme. Lyse, tu ne me connaîtras plus comme cela, plus jamais...
J'ouvris les yeux, un visage noir aux cheveux longs était penché près de moi. Il se recula, un peu gênée. Nilane…

Dr Nilane Bah
_ Nilane... murmure-t-il.
Il y a dans son ton comme un appel au secours. Pour moi, c'est comme si, en moi, une corde de violon trop tendue venait de se rompre. Conscient, il est conscient, et il me reconnait. L'opération dangereuse que je lui ai fait subir ne l'a pas privé de sa raison. Oh mon Dieu, je réalise à quel point je voulais qu'il soit sauvé...
_ Nilane... Répète-t-il, suppliant.
Il est encore trop faible pour parler plus. Sa main tiens toujours la mienne, il n'a pas du le réaliser encore. Je n'ose pas me dégager. Je tremble. Il ne faut pas qu'il le sente.
_ C'est fini, Jonas. C'est fini. On a gagné. On a été plus fort qu'eux, et on vous a enlevé ce truc de la tête.
_ Nom de Dieu, murmure-t-il. Nom de Dieu.
Il referme les yeux. La lueur des néons fait scintiller d'étrange petite perle de cristal, qui poussent au bord de ses paupière. Des larmes. Il pleure. Il inspire, rouvre les yeux, comme dans l'espoir d'arrêter ses larmes et me regarde, pour voir si je me moque, ou si j'ai pitié. Mais je ne fais ni l'un ni l'autre. Je pleure, moi aussi. Comme une idiote.
_ Vous m'avez fait une belle peur, murmuré-je. Vous nous avez tous fait très peur.
Et comme je sens qu'il est inutile de feindre, de faire comme si je n'étais là que depuis cinq minutes, comme si je n'étais pas resté toute la nuit à coté de lui, à l'entendre parler dans son délire, et à revivre avec lui ses horribles souvenirs, je me mets à dire tout ce que je peux, tout ce qui me passe par la tête.
_ C'est fini, Jonas. C'est terminé. Ils ne vous auront plus. Plus personne ne pourra vous mentir à présent.
_ Ils l'ont tuée... ILS L'ONT TUEE !!!
C'aurait été un rugissement s'il avait été assez fort pour en pousser un. Ce n'est qu'un faible cri, mais toute la douleur, la fureur qu'il porte en lui raisonne autour de moi, figeant l'air.
_ Oui, ils l’ont tuée. Et doublement, puisqu'ils vous ont empêchés de vous en souvenir. Mais ça ne changera jamais rien au fait qu'elle vous a aimé. Personne ne pourra jamais vous prendre ça. Même s’ils vous tuent, même si personne ne vous garde en mémoire, ça n'effacera pas cette réalité. Vous avez été aimé. Et vous avez aimé.
Il tente de tourner la tête, pour regarder à coté, mais les éléments guérisseurs qui lui retiennent la nuque l'en empêchent.
_ Ne bougez pas, dis-je. Ca risque de vous donner le vertige.
_ Mon uniforme ?
_ Il est là, à coté de vous.
_ Montrez le moi, s'il vous plait...
Je dégage ma main de la sienne et vais ramasser la veste que j'ai posée sur l'étagère à coté. Je l'étends devant lui. Il la regarde une minute sans mot dire, avec une lueur indéchiffrable dans les yeux. Il soupire.
_ Les galons... Arrachez-les.
_ Pardon ?
_ Arrachez-les. Je ne veux plus les voir.
_ Non, Jonas. Vous êtes en état de choc. Vous avez d'abord besoin de réfléchir. Quand vous irez mieux, si vous tenez à brûler vos anciennes idoles, vous le ferez vous même.
Un sourire ironique apparait sur les lèvres du militaire, le faisant redevenir l'homme que je connais.
_ Tout cela doit vous amuser incroyablement, pas vrai, docteur ? Vous avez gagné sur tous les tableaux !
_ Gagné ? On a tué votre femme, on a tué mes amis et ma famille, on a tué les parents de Kara, on a tué ma planète... Je ne vois pas ce que j'ai gagné, non.
Je pose la veste et revient m'asseoir devant lui.
_ Je sais que ça va être dur à accepter, pour vous, mais vous et moi, on est du même bord. On souffre des mêmes blessures. Moi aussi, on m'a volé mon passé.
Il ne répond pas. Encore trop faible. Encore bouleversé.
_ Il faut vous reposer, Jonas. Voulez-vous que je vous laisse seul ?
_ Vous avez certainement beaucoup mieux à faire, à bord de ce vaisseau, que jouer les nounous. Vous êtes le capitaine.
_ Je suis le médecin. Et vous le malade. Voulez-vous que je reste, ou que je vous laisse ?
_ Comme vous voulez, vous êtes le médecin, à vous de voir.
_ Vous êtes désespérant, monsieur Atrayde. Pourriez vous, s'il vous plait, me dire, en un ou deux mots, ce que vous voulez exactement.
_ Puisque vous me le demandez si gentiment, je fumerais bien une petite cigarette.
_ Pas question.
_ C'était bien la peine de me demander, alors...
_ Bon, vous l'aurez voulu. Tant pis pour vous si vous vouliez avoir la paix, je reste pour vous surveiller. D’ailleurs, je n'aurais pas du demander votre avis, ce n'est vraiment pas sûr, de vous laisser seul.
_ Bon sang. La nuit est bientôt terminée ?
_ Il doit être trois heures du matin.
_ Encore quatre heures avec vous avant que vous n'alliez réveiller votre petite fille... Eh bien, c'est fou ce que ça va être reposant.
_ Monsieur Atrayde, depuis le temps vous deviez vous être rendu compte que je n'ai été mise sur terre que pour devenir votre pire cauchemar...
Les mots n'ont pas franchis mes lèvres que je les regrette déjà.
Il vient de se rembrunir.
_ Vous êtes forte, docteur, mais vous ne pourrez jamais être pire que le cauchemar que je viens de vivre.
Je prends un ton joyeux et engageant.
_ Ne me mettez pas au défit, monsieur Atrayde. J'ai une fâcheuse tendance à relever les défis impossibles...

Kara
Je marche dans les couloirs déserts.
Ils dorment tous on dirait… Il fait nuit ? Je crois pas. On est dans l’Espace, et dedans il fait toujours nuit.
Avec Lilyah, j’ai accompagné Xorth dans le « Jardin-serre » et on a parlé et joué un peu. Xorth est encore tout embrouillé. Après tout ça, il est monté dans une drôle de maison dans un arbre et il s’est endormi. Lilyah m’a conseillé de me coucher aussi, alors je suis partie.
J’ai croisé personne. Ah si ! Celui qui a une cicatrice. Il allait sûrement dormir lui aussi. Je lui ai pas parlé mais fait un grand sourire avant qu’il disparaisse dans sa cabine. Il a rien fait.
J’ai dormi un tout petit peu. J’ai fait un cauchemar.
« La Grande Lumière », oui… C’était flou juste flou. Et puis elle m’a touchée, rasée et…
Non, non, non ! Je dois pas m’en souvenir ! Je dois oublier, oui je n’ai rien rêvé, je n’ai pas fait de cauchemar, non !
J’ai plus du tout envie d’aller me coucher, alors je me promène. C’est bien quand il n’y a personne.
Ca me rappelle la Colonie des Médecins. Là-bas non plus il n’y avait personne là où j’allais. Ils étaient tous enfermés ou ils se promenaient très vite.
Quand je faisais un cauchemar, "Maman" me consolait, mais là elle n'est pas là. Dans l'infirmerie je crois. Elle doit soigner Jonas.
Lui il m'a fait peur, très peur. J'ai cru qu'il allait... Et il était si blanc, si...
Oh non, non ! Pas de ça, je veux pas ! Il faut que je pense à autre chose !
J'arrive devant l'ascenseur. J'entre et je décide d'aller dans la salle avec la grande baie vitrée.
La pièce est vide, il y a que du silence et toutes les lumières sont éteintes. Je distingue quand même ce qu'il y a dedans.
Dehors... Je vois les étoiles défiler. Elles sont comme des longs traits blancs, bleus, violets, rouges, jaunes ! Ca fait une légère lumière, tout douce...
Je m'approche de la vitre et je colle mes mains dessus. Qu'est-ce que c'est joli ! On dirait...
Je reste comme ça, à regarder les étoiles qui défilent très vite, si vite.
Mes yeux sont grands ouverts et je souris, c'est si beau.
Ca me rappelle quelque chose. Juste une sensation... Une sensation toute douce et toute froide...
Kara... Kara...
Qui... Tiens ? Mais je suis où ? C'est un endroit tout vert !
Oh il ya quelqu'un à côté de moi. Ooh ! C'est une... une Xorth ?! Mais elle est plus petite et elle a de grands yeux bleus. Elle a aussi de jolies petites oreilles rondes et blanches et plein de poils blancs, comme un bébé chat... Elle est...
Mais, pourquoi je suis avec une petite Xorth ? Et il y en a d'autres ! Une grande Xorth rouge, jaune et marron avec des yeux dorés. Et un vieux Xorth tout noir et courbé. Et... et...
Ils sont habillés un peu comme Xorth. Ca leur va bien !
La petite Xorth m'attrape mon "faux-bras" et fait un espèce de... Oooh elle ronronne ! C'est...
Je la serre contre moi et le vieux Xorth vient me toucher l'épaule. J'entends plein de voix, plein de bruits...
Je me sens si bien...
Mais ! Je suis par terre ! J'ai dormi ? C'était si... si bien !
Je me lève et je repars vers l'ascenseur. Je descend au hangar à et je me cogne sous un gros vaisseaux foncé. Il est ouvert on dirait...
J'entre dans l'espèce de coffre et... AH ! Il y a plein de choses dedans ! Des couvertures, à manger et puis d'autres choses !
Je m'assoie au milieu des tas de choses et commence à fouiller en souriant.


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