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Chapitre 7 : Ce que nous avions préféré oublier...
illustré par Tchoucky




Len Arken :
             Je me trouvai dans une ville de taille moyenne nommée Laryn Timero, où j'étais sur d'avoir les renseignements que je cherchai.
             Je me dirigeai tout droit vers le premier endroit où on peut trouver tous les renseignements du premier coup: La taverne.
             J’y entrai et je me dirigeai immédiatement vers le tavernier, généralement source de renseignements infinis, du moment qu'on a assez d'argent pour payer à boire. Il y avait tellement d'étrangers avec des capes qu'il ne me remarqua pas tout de suite.
« Monsieur, que puis-je pour vous?
           Toujours entamer les négociations en douceur.
_ Un cocktail Retaro, s'il vous plait.
_ Cinq marks d’argent. »
           Je paie, et il me sert.
« Alors, monsieur, qu'est ce qui vous amène ici ? Un concert de flûte ?
_ Je viens pour des renseignements.
_ Alors là, il suffit juste de parler aux bonnes personnes. »
           Je m'approchai et dit:
« Biran Sted, ça vous dit quelque chose?
           Le tavernier me regarda, haussa un sourcil et dit:
_ Je crois avoir ce qu'il vous faut... Attendez moi ici.
           Il passa alors par une porte de derrière. Je bus une gorgée de ce cocktail, quand soudain...
« Il est là ! »
           Quatre hommes s'approchèrent de moi, avec leurs épées tirées et dirent :
« Chez nous, on n'aime pas les gens qui posent trop de questions, ça peut porter malheur.
_ Ah, vraiment?
           Il y eut un sifflement dans l'air, et à peine une seconde plus tard, le bras droit d'un des gardes était à terre, et ce dernier aussi. Dans chacune de mes mains, une dague, dont l'une était ensanglantée.
          Les gardes me regardaient paralysés, puis reprenant leurs sens, commencèrent à lever leurs sabres. En trois minutes, il y avait trois épées par terre. Les gardes s'enfuirent.
         Tout le monde me regardait depuis les tables, alors que je marchais vers la porte pour retrouver le tavernier. Quand j'ouvris la porte, il dit:
_ Alors, gardes, cet intrus?
_ Hélas, toujours vivant... »
          Il me regarda et poussa un hurlement. Je le pris et le plaquai contre un mur en collant une de mes dagues tout près de sa gorge.
« Tu as l'air d'avoir des informations intéressantes, grondais-je, tu ferais mieux de m'en parler avant de ne plus jamais pouvoir respirer de ta vie.
_ Je ne sais rien! Je vous jure! Ces gardes sont arrivés avec instruction de les prévenir si n'importe qui pose des questions sur Biran Sted ! Je ne sais rien de plus !
_ D'accord, mais si tu veux mon avis, tu as sérieusement intérêt à ne VRAIMENT pas en savoir plus. »
           Et sur ce, je le jetai à travers la pièce ou il s'écrasa sur un tonneau de vin.
_ De toute façon, c'était de la mauvaise qualité, fis-je après avoir vu la marque sur le tonneau.
           Je partis, pour voir le seul des soldats encore conscients parmi les quatre.
« Tu as perdu ton bras, mais tu pourrais perdre plus! Déclarai-je.
_ Que voulez-vous ? demanda-t-il.
_ Des infos alléchantes sur Biran Sted, ça te va?
_ Mais je ne peux pas faire ça...
_ Tu as de la chance, tu as encore un bras. Mais si tu veux vraiment devenir doublement manchot, ça ne me pose aucun problème. »
          Il écarquilla les yeux, comprenant où je vais en venir.
« Ecoutez, écoutez, tout ce que je sais et que j'ai compris, c'est qu'il était membre de quelque chose nommé l'Aestes.
_ C'est quoi ça, l'Aestes?
_ Je ne sais pas, je vous le jure !
_ T'as intérêt... »
          Je le jetai contre le bar où il s'écrasa lourdement. Avec un sourire, je quittai le bar en laissant derrière moi des gémissements, des exclamations et autres...


Tan-Klaroz :
          Depuis la fin de la réunion avec les Elfes, Farkas Tedzek cherche à me rejoindre pour me parler. Mais la nuit va tomber. Je lui parlerai demain s'il le veut tant que ça. Un Elfe nous accompagne à un étage supérieur. Ce monde apparemment "parfait" cache sûrement une immense hypocrisie... L'Elfe qui nous accompagne me fixe avec une lueur de peur. Je connais ces regards. Combien en ais-je déjà supportés ?
« Voici votre chambre, messires Tan-Klaroz et Hyle, dit l'Elfe d'une voix qui se veut mielleuse. Bonne nuit »
           Il s'éloigne avec le reste du groupe. J'entre dans la pièce et l'observe dans ses moindres recoins. Par chance, il y a une grande fenêtre avec un accès sur le toit, ainsi qu’une cloison de bois cachant une bassine d’eau pour se laver. Sabrane pose son bâton de mage sur un des lits et s'affale dessus.
           « Pfou ! Messire Tan-Klaroz, je suis épuisé ! Et vous ? Vous avez l'air toujours en forme ! Je me demande comment vous faîtes ! Moi je...
_ Arrête de m'appeler "messire" ! Je m'appelle Tan-Klaroz tout court !
           Sabrane me regarde étonné puis continue son discours.
           Je m'éloigne de lui et m'approche de la fenêtre. Le soleil lance ses derniers rayons sur les toits des bâtiments de marbre. Je me précipite derrière la cloison de bois. J'entends Sabrane me lancer :
_ Mess... euh, Tan-Klaroz! Que fais-tu ?
_ Je dois me laver quelques plaies qui me restent ! Endors-toi ! Je n'en ai pas pour longtemps ! »
            J'entends un ou deux grognements puis j'écoute attentivement ce qui se passe derrière la cloison. Le soleil a disparut. La lueur bleutée m'entoure et je suis maintenant femme. J'entends Sabrane dire :
« Bonne nuit ! »
            Quelques bruits de draps qu'on secoue puis un souffle d'endormi. J'attends encore un petit moment puis me colle au mur sur la pointe des pieds. Sabrane dort en marmonnant je ne sais quoi. Je souris en le regardant puis reprend ma face de glace. Je me faufile vers la fenêtre, l'ouvre puis saute sur le toit. Je me mets à courir sur les toits comme si j'allais m'envoler. Je m'échappe jusqu'aux limites de la ville, au portail de la vérité. Je m'assoie contre une des colonnes et essaye de me dissimuler aux yeux de tout être vivant.


Skronk :

           Ca fait plaisir de voir un beau repas comme ça. Depuis combien de temps Skronk n'avait pas aussi bien mangé ? Ces gens sont peu être habillés bizarrement, mais ils savent faire à manger. Il y a même des trucs que Skronk n'a jamais vus. Jetant des coups d'œil à la tablée, vérifiant que personne ne le voie faire, il enfourne de pleines poignées de nourriture dans les poches de son pantalon. S'essuyant les mains de temps à autre dans le grand manteau bleu nuit du petit homme assis à côté de lui. Ignorant complètement le regard noir de celui ci, Skronk se remet à manger, et boire tout ce qui lui passe à portée de main.
          Relevant la tête de son dernier plat, Skronk s'aperçoit que la dame qu'il veut protéger n'est plus ici. Contrarié, il émet un rot sonore. Pour se remonter le moral Skronk avale le dernier pichet qui traîne sur la table.
           Un peu ivre, il ne fait pas attention au temps qui passe. Tout doucement la salle se vide, ne laissant plus que L'Elfe et la maîtresse des lieux, l'air en grande discussion, ne prêtant pas la moindre attention à Skronk. Celui-ci n'ayant plus rien à faire ici, il décide d'aller se dégourdir les jambes à l'extérieur, de plus, Skronk n'aime pas dormir en hauteur, et toute les chambres devraient être situées à l'étage, il en est persuadé. Pas question d'y mettre un pied, de plus si les lutins venaient l'importuner, les Dieux seuls savent ce qu'ils pourraient inventer.
           L'air du dehors est doux. En faisant quelques pas dans la rue, il se demande si toutes les citées Elfe sont si désertes le soir. Son instinct de chasseur lui souffle que quelqu'un le suit. Skronk sait bien que le sorcier ne va pas être content, mais Skronk ne supporte pas d'être suivi.
           Skronk se retourne brutalement, le sourire aux lèvres. Celui qui le suis est un Elfe. Il ne cherche même pas à se cacher et il marche nonchalamment à quelques mètres derrière Skronk. Mais Skronk n'est pas dupe et en plus il a le ventre plein.
           Avec un grand sourire Skronk s'approche de l'Elfe méfiant. Bien que celui-ci soit rapide, il n'arrive pas à esquiver la main de Skronk qui le prend au cou. Resserrant son étau, Skronk approche le malheureux de telle façon à ce qu'il puisse le voir dans les yeux. L'elfe au bord de l'étouffement n'arrive bientôt plus à bouger. Content de son effet, Skronk lui cogne gentiment la tête contre le mur, le charge sur son épaule et part en quête d'un coin sombre, chose pas si aisée dans une grande ville de lumière. Mais justement la lumière en question décroît. Au bout de quelques minutes, la nuit a étendu son manteau.
            Déposant son paquet à l'angle de deux immenses demeures, Skronk commence enfin sa visite. Comme il l'a constaté auparavant, les rues sont totalement désertes. Soit les gens d’ici n'aiment pas faire la fête, soit ils se cachent... Skonk ne comprend définitivement pas ce peuple étrange.
            Complètement perdu dans les dédales de marbres aux murs couverts de feuilles d’or, ne croisant pas une âme qui vive, il décide de se trouver un endroit où passer la nuit. Mais les feuilles attirantes lui font envie, pour la même obscure raison que la dernière fois, il ne cherche pas à les prendre. Mais la petite voix qu'il connaît si bien se met à raisonner dans ces oreilles :
« Tu imagines bien que avec ces quelques feuilles, tu deviendras immensément riche. Personne au village n'oserait plus te contredire. Qu’est-ce que tu attends, prends-les ! Personne n'y fera attention ! »
Un peu hésitant, Skonk finit par donner un grand coup de poing contre le mur. A sa surprise, les feuilles tiennent bon. Mais rien ne résiste à Skronk ! Skronk veut donc Skronk prendra ! Tirant de toutes ses forces, l'une d'entre elles commence à se détacher du mur. Ne faisant plus attention à rien, il crie tout en tirant, détachant une feuille, puis deux, et bientôt il entraîne avec lui un pan du mur complet. Cet effort l'ayant complètement épuisé, Skronk s'allonge contre le mur désormais nu, la tête dans l'or et s'endort en ronflant bruyamment.


Val Harkan : 

          Après la réunion, on me montra ma chambre. L'elfe qui me guidait était un bavard et il débitait un discours continu, passant d'un sujet à l'autre. Je fus soulagé quand j'arrivai à ma chambre. Je saisis sa dernière phrase au vol avant de claquer la porte:
« Au fait, vous ne pouvez sortir qu'avec un autre elfe, bonne nuit ».
          Pas besoin d'un elfe pour sortir pensait-je en voyant la grande fenêtre et le balcon à quelques mètres de moi.
           Je poussais un profond soupir et enlevai mon lourd manteau. En dessous je portai une tenue de cuir brun, formant une sorte d'armure sans manches. A cela était ajouté une sorte de manche de cuir séparée du reste et attachée par des lanières à mon bras droit. Ce morceau de cuir ne me servait qu’à éviter de me blesser avec une de mes lames que je maniais de la main droite. Obéissant à une soudaine impulsion, je décidai de sortir sans armes. Je détachai le baudrier de ma rapière dans mon dos et la posais, sortie de son fourreau, sur mon lit. Ma lame croissant suivit le même chemin. Je tenais beaucoup à cette arme. J'aimais sa lame recourbée, longue de deux ou trois pieds et son manche à l'horizontale gravé de runes.
            Je détachai ensuite et avec le plus grand soin mes sacoches, examinant au passage qu'aucun élément de leur contenu ne soit cassé. Puis j'ôtai mes poinçons de lancer, ma dague fixée à mon tibia, mon arbalète attachée à ma hanche droite et enfin, le médaillon autour de mon cou. Je me sentais alors beaucoup plus léger.
             Doucement, j'avançai sur le balcon, et montai sur la rambarde. Je regardai vers le bas et constatai que seulement deux étages me séparaient du sol. En souriant, j'ouvris les bras en croix et me laissai tomber dans le vide. A mi chemin, j'exécutai une pirouette pour me remettre droit, et au trois quart, je sortis mes griffes, que j'enfonçai brusquement dans les pierres du bâtiment. Il en résultat un crissement pas très agréable et un petit nuage de poussière. Malgré cela, j'arrivai tranquillement sur le sol. Je délogeai ma main du mur, remarquant au passage la belle rainure que j'avais laissé, puis je fis volte face et me dirigeai vers la ville.
            Je marchai tranquillement sur les pavés des rues, sachant à peu près où aller. Au détour d'une rue, je vis alors Farkas arriver dans l'autre sens. Je me plaquai contre un mur et retins mon souffle. Il passa devant moi sans me remarquer.
Ouf, pensais-je avant de relâcher mon souffle.
           Je vis alors Farkas discuter avec celle que j'étais venu voir. Ils parlaient comme s'ils se connaissaient depuis très longtemps. Malgré la distance, je pus capter une phrase qui me paralysa:
« Mes félicitations pour ton mariage, petite sœur, dit Farkas.
_ Merci, répondit simplement la jeune elfe. »
           Ils continuèrent de parler, mais je ne les écoutai plus. Elle allait se marier.
Imbécile, me réprimandai-je, croyais-tu vraiment qu'elle aurait tenu une promesse que toi-même tu avais oublié?
          J'attendit patiemment qu'il s'en aille se coucher dans la chambre d'ami, et lorsqu'il monta à l'étage, je sorti de l'ombre et allai vers elle.
« Bonsoir, lui dit je doucement dans l’oreille.
_ Riel'nal, dit-elle en sursautant, tu m'as fait peur. Je ne t'ai pas entendu arriver.
_ Ha oui? Pourtant tu étais d'ordinaire plus douée que moi dans ce domaine.
           Elle eu un rire nerveux.
_ Ca te dit, une balade ? Lui proposais-je.
           Elle accepta et nous marchâmes de concert dans les rues. Nous gardâmes un moment le silence, puis je fini par prendre la parole :
_ Comment as-tu survécu ?
_ J'ai eu de la chance, esquiva t-elle.
_ Si tu crois t'en tirer comme ça...répliquai avec un petit sourire.
           Elle eut elle aussi un sourire.
_ Lors de l'attaque, commença t-elle, et mon sourire disparut, se fut la panique. Les quelques guerriers du village furent massacrés rapidement. Les anciens et nos mères ont tout fait pour nous préserver. Ils firent diversion, nous permettant, à moi et trois autres jeunes, tu te souviens de Kendon, Marhlan et Illirun je suppose, de nous enfuir. Mais nous n'allâmes pas loin. Au bout d'une vingtaine de toises, un groupe de soldat nous barra la route. Les trois autres formèrent un cercle et soudain me poussèrent dans un fourré. Ils furent massacrés sous mes yeux. Les soldats me cherchèrent, mais ne me trouvèrent pas. J'entendis l'un deux, vers l'aube, dire qu'il n'y avait pas eu de prisonnier. Le jour suivant, je partis, et tombait, quelques dizaines de lieues plus loin, sur un autre village elfe. Je restai là-bas pendant quelques mois. Puis je vins ici.
           Je restais muet. Elle se tourna vers moi.
_ Et toi? Comment as-tu survécu?
_ Moi, je fus sauvé par mon apparence. J'étais au cœur de la bataille quand les anciens ont commencé la diversion. Mais je fut stoppé et maîtrisé par les soldats et ils m'enchaînèrent. Quand ils virent que je ne ressemblais pas à un elfe, ils m’épargnèrent. Mais ce soldat que tu as entendu avait raison: il n'y a eu aucun prisonnier elfe.
             Je la vis réprimer un sanglot. La voix de plus en plus atone, je poursuivis
_ Quand tout fut terminé, continuai-je, ils creusèrent une fosse et y jetèrent tous les corps. J'eu le temps de voir ceux de Nordhal et de Nilona. Ainsi que celui de ta mère. Une heure plus tard, ils se décidèrent à partir et ils me traînèrent derrière eux.
             Je m'arrêtais à ce moment, serrant les dents. Elle dû le remarquer car elle me demanda :
_ Et après? Que c'est-il passé après, Riel'nal?
_ Je...Une chose est sûre : lorsque je sortis de la forêt, aucun des soldats ayant attaqué le village n'étaient encore en vie. Deux jours plus tard, poursuivis-je sans
faire attention à son regard horrifié, j'arrivais à la grande cité royale. Là, je commençais par être vagabond et voleur, pour ensuite devenir pendant un temps l'assistant d'un maître d'arme. Aujourd'hui… je mène une vie errante, allant là où le travail se présente.
_ Quel travail exerce tu? 
              C'était la question que je redoutais. Je ne pouvais lui mentir. Pas à elle.
_ Je suis tueur à gages.
_ Quoi ? s'exclama t'elle en s'arrêtant. Toi qui n'aurais pas fait de mal à une mouche?
_ Les gens changent répliquai-je, las.
             Elle se remit en marche et nous nous plongeâmes à nouveau dans le silence.
_ Riel, que s'est-il passé dans ces bois?
             Je ne répondis pas. Elle s'arrêta à nouveau.
_ Nous nous étions promis de ne rien nous cacher, tu te souviens?
             Et comment que je me souvenais. Nous nous étions promis cela sous "notre chêne". Juste après notre premier baiser.
_ Je me souviens également d'une autre promesse que nous nous étions faite ce jour là, relevai-je, d'un ton de regret. A ce propos, mes félicitations.
             Son regard s'assombrit. Ce jour là nous nous étions promis un amour éternel, de finir notre longue vie ensemble.
_ Ne t'inquiète pas, lui lançai-je en avançant légèrement pour qu'elle ne voit pas mon visage. Il est bien connu que les promesses d'enfants de survivent pas au passage à l'âge adulte. »
             Je me tournai vers elle. Je la fixai un moment, gravant chacun de ses traits dans mon esprit. Sa bouche, son regard d'émeraude et ses cheveux d'un brun si sombres qu'on y voyait des reflets bleus. Elle me jeta un regard de souffrance, sachant ce que je faisais. Après une minute à me fabriquer des souvenirs, je fis volte face et m'enfonçais dans la nuit.

          Je couru à perdre haleine dans les rues. Je couru jusqu'à être épuisé, c'est à dire environ une demi-heure plus tard. Je lâchai une larme. Je ne pouvais pas
faire plus. Selon mes frères de la forêt, je ne pourrais pleurer que deux ou trois fois dans ma vie. C'était la troisième.
           Je m'aperçu alors que je me trouvais devant la gigantesque bibliothèque d'Amarath Caras. J'entrai doucement, puis longeai sans réfléchir les centaines de rayons où étaient sans doute classifiée la plupart des savoirs du monde.
             Tout en marchant, je me calmai et une idée me traversa l'esprit. J'avais toujours su ce qu'était ma mère. Mais qui était mon père? Peut-être, avec de la chance, y avait-il là une information sur lui.
             M'accrochant à cette idée pour chasser d'autres moins agréables, je regardai autour de moi. Des livres à perte de vue. Je poussai un soupir. Il me faudrait plus d'une vie pour trouver une information.
            Je m'apprêtai à sortir, lorsque je vis Thurim Vessiel en train de lire à une table prévue à cet effet.
            Bien sûr, c'est un sorcier. Si quelqu'un sait, c'est lui.
            Je m'approchai de lui et lui demandai courtoisement:
« Bonsoir, sorcier, puis-je m'asseoir à votre table ? »

Thurim Vessiel :

         Une rencontre plutôt inattendue dans ce lieu à cette heure de la nuit, un des mes compagnons d'infortune, Val Harkan. Même s'il me dérangeait en pleine concentration alors que j'avais le nez penché sur un gros volume de l'histoire d'Amarath Caras, je décidais de l'écouter. D'ordinaire, j'aurais refusé, mais je vis que son aura était quelque peu instable, il était inquiet, et son regard interrogateur avait peut-être besoin d'être satisfait par mon savoir. De plus, j'en avais déjà découvert suffisamment entre les lignes de ses vieux livres pour
faire part des résultats de mes recherches demain, aillant passé tout mon temps ici après le copieux repas que vous avions eu l'honneur d'apprécier. Je n'avais donc plus rien d'autre à faire que d'écouter...
           Je lui fis signe de prendre une chaise en face de moi, ce qu'il fit. Je ne voulus pas parler en premier, c'était à lui de me parler de ce qui le perturbait.
« Puis vous demander une chose ?... Cela va vous paraître soudain mais...
_ Posez votre question sans détour, je vous prie ! Dis-je sèchement
_... Avez-vous souvenance dans vos études, ou par le plus grand des hasards, fait la connaissance d'un magicien dénommé Harkan ?
           Je haussais un sourcil en signe d'étonnement. Un être abject tel qu'un tueur à gages avait dans son arbre généalogique une branche faisant partie du noble Cercle des Arcanes ? Nom que l'on donnait couramment à la très grande famille regroupant les adeptes de la magie quelle qu'elle soit.
_ Ce nom ne m'est pas familier... évitais-je
_ S'il vous plait, je n'ai pas l'intention de vous supplier de me donner une réponse, et je ne sais pas non plus si vous en avez une réellement ; mais si vous savez quelque chose, je vous prierais de me le dire... Il est mon père ; cela fait un bon moment que je n'entends plus parler de lui, je voudrais savoir ce qu'il a pu faire pendant ce temps.
_ En effet, il se peut que je connaisse votre père...
A ce moment, il se mit droit sur sa chaise, m'écoutant en silence, comme un élève studieux à qui l'on accorde un cours particulier.
_ Il y a un pas plus de deux ans, l'académie dans laquelle votre père et moi enseignions, était face à un problème d'envergure, sans doute maintenant en prévision de ce que nous avons lu récemment sur cette étrange prophétie : un démon des limbes du nom de Malk Shur ravageait des villes entières dans les régions du Termac du Sud. Malgré son lieu d'origine, ce démon était de nature spectrale, il ne pouvait donc être vaincu que par la magie. Votre père et moi ne nous connaissions que très peu auparavant, nous avions étaient choisis de part nos grandes compétences en matière de stratégie ; l'archimage nous chargea d'élaborer un plan pour enfermer ce démon dans une autre dimension. Des semaines plus tard, après avoir fait subir un entraînement spécifique aux meilleurs mages de l'Académie, nous partîmes en destination de la prochaine ville, qui d'après l'Archimage Trébonius, était la prochaine cible de Malk Shur, et il avait vu juste...
Le combat dura des jours, nous tenions bon, mais hélas, plusieurs de nos compagnons périrent avant que les dernières incantations ne puissent être exécutées. Nous n'étions alors plus assez puissants pour pouvoir contrer à seulement deux, les magies infernales et dévastatrices de ce démon. Mais votre père a eu un geste, de grand courage ou de folie, cela n'a plus d'importance, il utilisa sa propre aura pour empêcher momentanément le démon d'utiliser ses sombres pouvoirs. Je dus alors terminer tout seul l'incantation, alors que votre père retenait Malk Shur avec toute son âme. L'incantation fonctionna, mais elle fut incomplète suite à la mort de nos compagnons... Le démon fut enfermé dans la dimension prison appelée Orak Khorgur, Le Cellier des Tourments... ainsi que votre père...
             Il se pencha soudain sur la table, faisant claquer ses mains sur le bois.
_ Quelle coïncidence, n'est-il pas ? Je suis celui qui ait banni votre père avec un démon des limbes des plus impitoyables ! Mais il faut croire que c'était le destin...
             Je me levais alors, le gros volume que je lisais avant l'arrivée d'Harkan à la main. Je ne fis plus attention à lui pendant quelques instants, le temps d'aller dire un mot au gardien de la bibliothèque, je me doutais quelles genres de sombres pensées il pouvait avoir me concernant pendant que j'avais le dos tourné. Je revins alors vers lui, toujours assis.
_ Haïssez-moi si vous le voulez pour ce geste... mais je ne pense pas que votre père soit mort ; et fait, je suppose que vous ne le pensiez pas non plus.
_ Pourquoi pensez-vous cela ? Me dit-il.
_ Une porte de la prison est restée ouverte, pas assez, pour permettre au démon de s'enfuir mais... votre père était un Magicien d'Athanor, nos pouvoirs se valaient, il n'est point impossible dans ces conditions, pour un non démoniaque de s'évader de Orak Khorgur...
_ Attendez, j'aimerais...
             Mais je ne l'écoutais déjà plus, me dirigeant vers la sortie, le livre emprunté sous le bras...


Bianne :

            Je ne dors pas ainsi, d'ordinaire. Je ne me laisse jamais aller à rêver. Mais cette fois-ci, j'en ai besoin. Toutes ces émotions oubliées qui remontent. Tous ces souvenirs.
            Je savais, en commençant cette chasse, qu'elle me mènerait loin. Mais je ne voulais pas, non, je ne voulais pas qu'elle me ramène ainsi à moi-même.
             Je ne veux pas redevenir Nabnie Hata. Je ne veux pas recommencer à rire, à pleurer, à espérer. Je ne veux pas me remettre à croire, à aimer. Et pourtant, c'est irrésistible, violent, tout en moi est en train de se réveiller.
             J'ai été chercher Harkan pour qu'il me suive dans cette quête. J'ai décidé de m'y consacrer. Je n'appartenais pourtant à personne. Mais je suis ce courant qui m'entraîne, je le précède même, bien que je sache pertinemment où il me mène, et que tout mon être s'y refuse.
Que suis-je devenue ? Quand ai-je renoncé à être celle que j'avais toujours été ? Ce n'est pas d'avoir vu Escarul brûler, qui m'a changée ainsi. Non. En m'enfuyant, j'étais encore elle, cette jeune fille douce et aimante, croyant en la vie et l'espoir. Celui qui m'a détruite, c'est Harkan. Harkan, que j'ai été cherché moi-même, pour qu'il soit de cette quête aussi.
             Je me retourne dans mon sommeil. Harkan n'était qu'un outil, un pion, on l'avait payé pour faire son devoir. La main qui actionnait l'outil, je l'ai coupée. Puis, comme je n'aurai jamais pu redevenir ce que j'étais avant, je suis devenue chasseuse de prime. Je venge pour de l'argent des crimes qui ne me concernent plus. Mais à présent ? Il faudra bien que je regarde dans le miroir, et que je m'avoue ce que je n'ai jamais cessé d'être...
             Un bruit de coup à la porte.
            Je m'éveille. Je suis bien dans cette chambre. Elle est modeste, à ma convenance. Aucune fioriture ne la décore, et une vaste jalousie laisse entrer l'air de la nuit.
            On frappe à nouveau.
            Engourdie d'avoir dormi trop profondément, je m'arrache à ma couche et enfile mes vêtements prestement. Puis je vais ouvrir.
« Messire Vessiel ? Savez-vous que la nuit est faire pour dormir, d'ordinaire ?
_ Je dois vous parler. Sans attendre.
            Il entre sans plus de cérémonie. Voilà qui jure avec l'allure conventionnelle et conformiste qu'il se donne d'ordinaire.
            Je referme derrière lui et soupire.
_ Je vous écoute ?
_ La prophétie que nous avons découverte. Vous la connaissiez avant que je la lise, n'est-ce pas?
_ En effet.
_ Vous n'avez pas d'employeur. Personne ne vous a envoyée à la recherche de Tan-Klaroz. Me trompai-je ?
_ Oui et non. Le hasard m'a mise sur sa piste il y a quelque mois. Et j'ai peu à peu réalisé ce qu'il était. J'ai donc continué le chemin.
_ Alors, je vous le demande. Où avez vous lu la prophétie ?
_ Dans un livre pieux.
_ Un livre pieux ?
            Il me regarde, intrigué.
_ Eh bien oui, messire. Un livre pieux. Il faut avoir de la culture dans tous les domaines. Vous autres, sorciers, mages, croyez pouvoir vous contenter d'étudier les fluides qui régissent le monde et prévoir la course des astres. Mais il est parfois important de se demander à quoi les peuples ont cru. Et pourquoi ils y ont cru.
_ Que disait la prophétie, telle que vous la connaissiez ?
             Je récite :
La race des Georym se réveillera au travers d'un seul être.
Révélant son pouvoir infini, dans le plus grand combat jamais mené depuis la "Guerre première".
Réunissant autour de lui 8 compagnons issus de différentes races, des mortels.
Réunissant autour de lui les représentant des éléments, des Dieux.
La lumière de l'espoir brillera au cœur des ténèbres de Kargor Dûm, l'astre de la Noirceur Absolue venue des entrailles.
C'est ce que vous avez lu sur la pierre, messire. Mais ce n'est pas la seule prophétie qui ait été faite à ce sujet.
             Je me remets à réciter :
_ Une destinée en un être…
Deux astres et un pouvoir infini…
Lorsque le Soleil et la Lune seront réunis en ce destin et
En cet être, l’avenir du monde dépendra de lui…
Air, Eau, Feu, Terre, Vie, Mort, Ténèbres et Lumière

L’accompagneront.
            Il hausse les épaules.
_ Si l'on en croit celle ci, chacun de nous représente en élément ?
_ Pas tout à fait. Chacun de nous est relié à un élément. Nous devons trouver lequel. Ca devrait être simple. Il suffit de se connaître soi-même.
_ Je vois. Nous devons trouver chacun à quel élément nous sommes relié, et ensuite ?
_ Ensuite, une fois que nous aurons trouvé, nous communiquerons ces liens à Tan-Klaroz, et le pouvoir de la race Georym se réveillera en lui.
_ Et ensuite ?
_ Ensuite... Le Dieu qui n'a pas de nom se réveillera. Et Tan-Klaroz devra l'affronter.
_ C'est tout ?
_ Oui, c'est tout. Rien de plus simple.
            Il reste silencieux, comme s'il cherchait ses mots. Il est troublé. Il le cache, mais je le sens. Aussi troublé que moi, depuis que je suis entrée dans ce palais, depuis que mes souvenirs ont commencés à se réveiller. Je viens m'accroupir devant lui.
_ Messire Vessiel. Vous avez passé la soirée à éplucher des livres. Vous savez tout cela. Pourquoi êtes-vous venu me parler ?
            Il se tait, pose simplement sur moi un regard impénétrable. Je devine malgré moi.
_ Vous vous défiez de moi. J'en sais plus que vous tous, et ça me donne un pouvoir qui vous effraie.
_ Disons que, si vraiment nous avons à parcourir le chemin qui nous semble destinés, il vaut mieux que je sache qui vous êtes. Ou ce que vous êtes.
             Je me tais, et reste immobile.
             Nous y voilà. Me voilà là où je ne voulais pas aller. Qui je suis. Ce que je suis. C'est pourtant cela qu'il faut que je redevienne. Ou rien ne pourra être accomplit.
             Je me relève et m'éloigne. Je tremble. Je tremble comme une petite fille. Je recule devant l'obstacle. Un miroir accroché au mur me renvoie mon image. Un visage lisse, blanc, clair. Un air d'innocence que des années de guerre et de chasse n'ont pas réussit à enlever. Je me décide enfin.
_ Fermez la fenêtre, messire Vessiel.
_ Je vous demande pardon ?
_ Fermez la fenêtre. Et éteignez la lampe. Afin que je puisse vous montrer mon vrai visage.
Intrigué, étonné, il s'exécute. Nous nous retrouvons dans la pénombre, à quelques pas l'un de l'autre.
Je respire une goulée d'air. Et me transforme. Ses yeux s'écarquillent, mais rien de plus. Il devait s'attendre à quelque chose de ce genre. Avant qu'il n’ai pu réagir d'une manière ou d'une autre, j'ai repris forme humaine, et rallumé la lumière.
_ Peste, murmure-t-il. Vous ne faites pas les choses à moitié.
_ Vous savez tout de moi, messire Vessiel. Je sais que je peux compter sur votre discrétion. Je ne vous demande rien en échange de ce secret, si ce n'est de croire en moi.
_ Je vous croirai. Mais je veux savoir encore une chose.
_ Quelle chose ?
_ Votre vrai nom.
_ Non messire. Ce nom là est mon trésor le plus sacré. Ne me le demandez pas.
_ Soit. Mais j'espère, un jour, mériter de le connaître.
            Je rouvre la fenêtre. J'ai besoin d'air. Me transformer m'a procuré une ivresse qui m'effraye. Je n'avais pas repris cette forme depuis des années. Je n'avais pas réalisé à quel point ma nature était ancrée en moi.
_ J'ai envoyé le père de Val Harkan à une mort certaine, me dit-il. Je viens de le découvrir.
_ Nous sommes tous plus ou moins liés. Ne craignez pas Harkan. Il sait ce que sont les actes, et ce que sont les gens.
                Ma voix est devenue plus sèche malgré moi. J'ajoute.
_ De toute façon, la rancune et la vengeance ne sont plus de mises entre nous. Quelque soit les blessures.
               Je m'assieds. Je suis épuisée comme si j'avais pleuré pendant des jours. Qui eut crut qu'une transformation m'épuise autant ?
                Thurim s'est assis près dans le fauteuil en fasse. Il me regarde.
_ Ce pouvoir de la race Georym ? Quel est-il ? Le savez vous ?
_ Je n'ai que des indices. La race Georym a été créée en dernier par le Dieu dont le nom ne doit pas être prononcé. Elle est celle qui existe le plus indépendamment, celle qui peut survivre à Sa disparition. Elle est celle qui a suffisamment de puissance pour Le détruire. Les premières races à avoir été créées, en revanche, ne peuvent subsister sans le Dieu Sans Nom. A moins que l'élu de la race Georym, Tan-Klaroz, ne parvienne à les rattacher à lui.
_  Ah ? Vous voulez dire que si Tan-Klaroz ne trouve pas le moyen de les lier à lui, certaines races vont disparaître avec le Dieu ?
_ Seule la toute première risque de disparaître. Les autres ne feront que s'affaiblir.
_ Quelle est la toute première race ?
              Je souris, sans joie.
_ Vous n'allez pas aimer l'apprendre.
_ Dites ?
_ Ce sont les elfes, messire. Les elfes.
Il se tait. Je laisse le temps à la nouvelle d'arriver à son esprit.
_ Les elfes, répète-t-il. Ils le savent ?
                Je repense à l'elfe à la marque sur le front qui m'a parlé, cet après midi.
_ Certains doivent le savoir.


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