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Kallisto, 21 novembre 2006, nouvelle. Illustration par Kallisto.


 

                    L’homme marche.

                    Il marche dans une rue, vide, sombre. Tout est calme, désert, comme d’habitude. Les restes des bâtiments forment d’étranges carcasses de béton ou de métal. Certaines bâtisses, s’accrochant au ciel, filent vers les hauteurs en pics cassants et brillants. Là-haut, on voit les nuages noirs se réunir, pour exploser en pluie fine et froide. Scène d’une banalité affligeante.

                     Un son, un tintement. Un goutte, puis deux, puis trois… L’eau acide tombe, refroidit l’air. Une odeur chargée par le bitume s’élève en brume floue.

                     L’homme s’en moque, il porte un lourd manteau sombre. Il s’indiffère de ce genre d’événement quotidien. Avec la pollution, l’eau des nuages a fini par devenir corrosive, pas mortelle… Pour l’instant.

                     Il passe une main dans ses cheveux gris. La fatigue le fait avancer lentement, à pas lourds. Pas loin de cinquante années qu’il se promène dans cette ville, et toujours cette fatigue quand la pluie vient… C’est une sensation agréable, grisante à la longue.

                     Ses yeux limpides fixent les murs fissurés. Quelque chose vient de le mettre en alerte. Pourtant ce district est abandonné, mais on ne sait jamais. Les mauvaises rencontres existent.

                     Ses traits déjà durs se crispent. Un linceul, blanc immaculé, mortuaire. D’ailleurs, celui-ci porte une étrange marque. Une sorte de croix cassée. Qui est assez fou pour laisser traîner un mort ici ?

                     Il s’approche, un minimum prudent. Qu’est-ce que ça peut bien être…

                     Un nouveau-né. Une petite chose emballée dans un tissu réservé aux morts. Si ça se trouve, il l’est. L’homme voit bien qu’il a à peine quelques jours, voir moins. Encore un orphelin abandonné par quelque fille de joie.

                      L’enfant ouvre les yeux, lentement, cligne des paupières et le fixe, d’un air goguenard.

" Tiens… T’es vivant toi ? "

                      Pas de réponse, il s’y attendait.

                      La pluie atteint le bébé. Pas un hurlement, pas de pleurs. Il continue de fixer l’homme.

_ Hey ! Normalement les mômes comme toi gueulent à faire s’effondrer la ville entière. T’es muet ?

                      Des légères traces sombres suivent les gouttes d’eau sur le visage du nouveau-né impassible.

                      L’homme se sent mal à l’aise devant cette petite créature sans espoir. Son regard le transperce de part en part. Il se sent fondre. Si fragile, si indifférent…

                      Un minuscule bras bouge sensiblement en sa direction. Geste lent, faible, et pourtant déterminé.

                      L’homme touche de l’index la paume douce de l’enfant. Il remonte doucement le bras vers les épaules et le cou. Sensation apaisante.

_ Allez… T’as gagné… Tant pis pour moi.

                      Il soulève et délivre le bébé de son linceul, avant de retenir un cri d’étonnement, d’horreur aussi. Il vient de sentir une odeur âcre venant du nouveau-né, une légère odeur de chair brûlée.

_ Qu’est-ce que… !

                      Le dos de l’enfant est marqué du même symbole que celui de son linceul. Un symbole tatoué au fer rouge. La peau, couverte de croûtes mal cicatrisées est teintée d’un pourpre sombre.

                       L’homme est mal à l’aise, mi dégoûté mi ému et, sans raison, serre le bébé dans ses bras, finit par se raviser et observe le corps de la petite chose.

_ Oh… Tu es une fille. Bienvenue dans notre monde ma jolie…

Il récupère le linceul, essuie les traces d’eau sur les joues de la nouveau-née, la protège de son manteau et soupire.

_ Tu seras Kanna… « D’un blanc éclatant »… Advienne que pourra !

Et il s’en va, la petite dans ses bras, qui s’endort.




Par la suite, la petite fille de cette nouvelle était destinée à devenir l'une des héroines de nos histoires collectives, Terre Partagée, que vous pourrez parcourir en vous rendant sur le forum, ici. Destinée à rester inachevée, celle-ci ne sera pas publiée sur ce site. Nous avons jugé que ce petit texte, composé à part, pouvait s'apprécier à part.


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