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La faim justifie les moyens
Un conte geek

Posté le 17/O7/2010, parZunus




Tout avait commencé par un beau jour d’été, semblable à tous les autres jours d’été, où la chaleur écrasante n’a d’égale que la platitude des multiples personnes que vous êtes amenées à rencontrer au cours de cette période morne et fade de l’année. Alors que Doc Hacksack me glissait une nouvelle absurdité à propos d’une vidéo vue l’avant-veille sur Youtube, après une soirée bien arrosée où son comportement lors d’une partie endiablée de poker l’avait définitivement persuadé d’arrêter pour quelques temps la bouteille, je me rendis soudain compte que nous marchions depuis plus de deux heures, et que la nécessité de remplir nos pauvres estomacs vides se faisait cruellement ressentir.

Comme toujours dans un cas pareil, l’enseigne jaune et rouge nous apparut, encore une fois, comme l’entrée vers la terre promise d’un repas qui, pour n’être que le pain quotidien du commun des mortels, n’en serait pas moins une sustentation digne de nos esprits rebelles. Aussi, alors que je déversai à la face du monde et à quelques passants éberlués un rire tonitruant que Doc accueillit d’un rapide hochement de tête, je poussai la porte du fast-food et me dirigeai vers le guichet le plus proche.

Il nous apparut aussitôt que la queue, trop longue pour pouvoir être sournoisement contournée comme nous avions l’habitude de le faire, nous laissait quelques temps pour nous afin de continuer notre delirium l’espace de quelques minutes. Enfin, après quelques nouvelles allusions à Mouloud* et au Powerthirst*, une petite bonne femme coiffée comme un dessous de bras et visiblement harassée par une dure demi-journée de labeur accepta de prendre notre commande. Doc, que la faim avait déjà fait entrer dans une transe divinatoire, passa le premier, et brandit fièrement sa carte de fidélité.
« _ Ah, euh, monsieur, ici on fait pas de réduction, la carte n’est pas valable. »

 Le regard bovin qu’elle associe à sa sentence nous rend perplexe. Quoi, la promotion ne serait donc point valable partout ? Doc s’en fiche, il ne veut pas la réduction, il veut le deuxième burger offert, et salive déjà en voyant le Long Bacon glisser doucement le long de la rampe métallique. Moi, je ronge mon frein. Pourquoi diable l’absence de l’offre n’est-elle pas signalée à l’entrée du restaurant. Diantre ! Voilà qui ne me sied guère. C’est enfin à moi d’effectuer ma commande.
« _ Un menu Giant, s’il vous plait, XL, frites-coca, avec la réduction.
_ Ah, euh, monsieur… »
Le même message, au mot prêt. C’en est presque intéressant d’un point de vue psychologique. Le conditionnement par l’absurde. La promotion, tout comme la cuiller, n’existe pas. L’électroencéphalogramme plat de cette garce confirmerait certainement mes dires, mais pour l’heure, je ne peux me concentrer sur cette passionnante problématique, j’ai trop faim.
« _ Mais… pourquoi ? Vous êtes bien un Quick, vous appartenez bien à l’enseigne, normalement ça devrait marcher.
_ Ah, euh, monsieur… »

Qu’est-ce que je disais. La petite lumière de lucidité et de raison de mon esprit commençant doucement à diminuer pour laisser place à la plus sombre des colères, je préfère en rester là, et payer mon euro supplémentaire. Face à la bêtise, vous ne pouvez rien faire, si ce n’est les combattre avec leurs propres armes, et cela demande un plan d’attaque minutieux ; on ne s’improvise pas bête, il faut s’y préparer longtemps à l’avance. Je mâchonne placidement mon burger tout en décrivant la scène à Doc Hacksack, qui s’est déjà installé depuis une minute et a englouti l’un de ses deux Long Bacon.
« _ Chi tu veux mon avis, me dit-il d’un air grave, tu devrais pas la laicher ch’en tirer, chette andouille. Ch’est honteux de traiter les gens comme cha.
_ Ouaich. On va lui régler chon compte, à chette dinde. »

Ainsi se termina la première bataille, mais la guerre n’était pas finie. Il nous fallait un plan d’attaque, et lorsque nous aurions peaufiné les moindres détails, nous lancerions notre offensive. La chaude moiteur de l’été laissa place à la morne tiédeur de l’automne, et tout en reprenant nos chères études, nous fomentions notre revanche, conspirant en silence en attendant le moment propice.

Ce fut par un après-midi de novembre que nous décidâmes qu’ils était temps de passer à l’action. Malgré la rigueur de l’hiver tout proche qui meurtrissait nos chairs et engourdissait nos doigts habiles de gamers psychopathes, nous étions trop pressés d’en découdre, et après une bonne heure et demi de film d’action décérébré, nous étions en bonne conditions psychologiques. Lorsque je poussais la porte du restaurant, accompagné de Doc et de nos trois complices qui avaient eux aussi vécu une expérience similaire, je savais que rien ne pourrait nous arrêter.

Par chance, il n’y avait pas grand monde dans le restaurant, et dès que j’eus nettoyé mes verres de lunettes afin de bien savourer mon heure de gloire, je la reconnus aussitôt. ELLE ! c’était bien elle ! Elle était toujours là, cette sinistre harpie, cette satanée garce ! M’armant de mon sourire le plus carnassier, je me repassai une ultime fois l’ensemble de notre plan dans la tête, et allai droit à sa rencontre, mu par la volonté de l’Univers de nous rendre justice et de ramener l’équilibre dans la Force.

Lorsque nous fumes tous face à elle, elle nous lança, bien entendu, la formule consacrée :
« _ Bonjour monsieur, vous désirez ? »
Oui, je désire te voir crever, connasse, mais attend un peu, tu vas morfler. Je pris une grande inspiration, et, sûr de ma victoire, donnai le La de la partition qui devait aller crescendo :

« _Alors, pour moi ce sera un menu maxi best of Chicken McNuggets !
_ Non, tu te trompes de marque, là…
_ Ah oui, c’est vrai. Donc pour moi ce sera un menu XL Dips avec la réduction, s’il vous plaît.
_ Moi aussi, mais je veux les deux boîtes !
_ Pour moi un menu normal Long Fish !
_ Attend, je crois qu’ils en ont plus de Long Fish…
_ Ah, okay, alors un Long Bacon, mais en XL !
_ Pour moi un Long Chicken avec de la sauce barbecue !
_ Et moi un Suprême Cheese avec du ketchup !
_ Et quelle taille de menu, il faut lui dire à la madame.
_ Ah ouais, lui normal, et moi XL !
_ Non, c’est le contraire.
_ Ah, bon ben lui XL, et moi normal !
_ Arrête de bouger si vite, hihihi, tu vois bien qu’elle comprend rien à ce que tu dis.*
_ On peut régler par chèque ?
_ Tu déconnes, on n’est pas au Plazza, sors ton oseille !
_ Ah merde, j’ai pas pris de liquide.
_ Attend, je te dépanne… t’avais pris quoi déjà ?
_ Un Long Chicken.
_ Okay, alors six cinquante plus sept cinquante-cinq…
_ Attendez les gars, je peux payer par carte, vous me remboursez !
_ Meuh non, voyons, c’est entre lui et moi.
_ Bon, ben moi je paye quand même par carte.
_ Eh, ils ont des rustiques !
_ Eh, ouais ! J’en veux !
_ Moi aussi !
_ Et moi aussi… euh non, je préfère les normales, au final.
_ Essaye, je te jure que c’est excellent !
_ Non, j’ai pas assez faim en plus.
_ Moi j’ai tellement faim que je mangerais n’importe quoi, t’entend ? N’IMPORTE QUOI !*
_ Qui veut de la sauce barbecue ?
_ Moi, mais je l’ai déjà dit !
_ Pour moi, du ketchup et de la mayo !
_ C’est possible de rajouter des oignons ?
_ Eh, vous faites pas des 280, enfin je veux dire des équivalents du 280 ?
_ Vous avez pas de sauce piquante, vous savez, genre harissa ou un truc comme ça ?
_ Eh, ils ont des cans de 50cl de bière !
_ Ils ne servent que des pintes ? J’en veux une !*
_ Au fait, on prend à emporter ?
_ Moi je prends sur place !
_ Et moi je prends à emporter, mais je reste quand même sur place, j’aime le contact des sacs en papier sur ma peau, ça ne vous ennuie pas ?
_ Bon, tu te pousses un peu, là, que j’introduise ma carte ?
_ Non mais c’est pas à toi de payer là…
_ Je te dis de te pousser !
_ Bon, temps mort, les gars, temps mort ! Il faut choisir qui commande en premier. On va pas s’énerver maintenant non plus ! Je propose de négocier.
_ Bonne idée !
_ Ouais ! Allez, tous en cercle ! »

Nous nous retournâmes et formâmes un petit cercle fermé devant les quelques clients médusés, nous écartant de la pauvre fille qui commençait sérieusement, à en juger par son expression, à perdre les pédales. Je me doutais bien que ça finirait peut-être en expulsion du restaurant ou quelque chose de ce genre, mais de toute façon on pourrait toujours en trouver un autre sur le chemin du retour. Voir le visage décomposée de notre adversaire était la plus belle des récompenses. Je rendis son sourire à Doc Hacksack, hilare, et me dirigeai d’un pas vif vers la sortie, imité par mes quatre compères. Nous avions remportés cette manche. Nous étions les maîtres du monde.

En rejoignant les quais de la Seine, l’un de nous suggéra négligemment :
« _ Bon, c’était plutôt marant finalement. On pourrait peut-être retenter le coup chez Léon un de ces jours, qu’est-ce que vous en dites ? Ou chez Hippopotamus ?
_ En attendant, nous allons manger ! répondis-je. Bonne nourriture…* »

Tout en respirant le bon air pollué de Paris, je savourai ma portion de frites, et me dis que tout compte fait, la vengeance était un plat qui se mangeait très chaud. Brûlant, même. Pas vrai ?



Glossaire :
Mouloud Personnage d'un détournement par Mozinor de la bande annonce du film 300.
Powerthirst Publicité américaine pour une boisson énergétique, dont l'aspect déjanté a totalement conquis la communauté geeke.
"hihihi, tu vois bien qu’elle comprend rien à ce que tu dis" : citation d'une parodie de Mozinor
"Moi j’ai tellement faim que je mangerais n’importe quoi, t’entend ? N’IMPORTE QUOI !" : Citation des 12 Travaux d'Astérix.
"Ils ne servent que des pintes ? J’en veux une !" : Citation de La Communauté de l'Anneau
"En attendant, nous allons manger ! Bonne nourriture…" : Citation de L'Empire Contre-Attaque 

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