Les images du site sont l'oeuvre de nos membres, qui consentent à leur mise en ligne.
Chapitre 13 : Au devant de nos démons



Sabrane Hyle :

           Cela faisait déjà deux jours qu’on était dans ces montagnes. Je pensais encore aux dangers que nous avions dû surmonter depuis le début de ces escalades. Je pensais au fait que Skronk avait failli tomber, retenu seulement par un rocher de deux cents kilos. Heureusement, au prix de nombreux efforts et de sortilèges de lévitation ratés - des pierres volaient au-dessus de nos têtes et tentaient de nous assommer - nous avions pu remettre le barbare sur le plancher des Golaid _des animaux habitants dans la montagne, avec des cornes et des dents de sabres. Je sautais parfois de rocher en rocher, et je finissais souvent avec des pierres dans le derrière. Je pensais pouvoir détendre un peu mes compagnons avec ceci, sans le faire exprès en plus, mais ils semblaient de bien mauvaise humeur. Skronk se plaignait toujours d’avoir faim et de vouloir se reposer, et messire Len semblait concentré sur l’objectif à atteindre.
« Dites, messire Len, dis-je, je ne vous connais pas beaucoup, racontez moi un peu votre passé.
_ Ca ne te regarde pas, Sabrane, me répondit il de mauvaise humeur. »
           Gai luron, fis-je dans ma tête.
           Je senti soudain comme une chose, qui était contre nature, essayer de venir en moi. Je revis certaines images qui m’avaient rendu triste, si quelque chose en moi ne tentait pas de le repousser, une chose que j’essayais de deviner ce que c’était. Je compris que ce qui essayait de s’infiltrer en moi était le désespoir.
« Bon, dit finalement messire Len, on se repose.
_ Pour combien de temps, demandai-je distraitement tout en scrutant les environs pour voir ce qui me donnait ce désagréable sentiment.
_ Pour toujours, dit-il.
            Je me retournai vivement, voyant le regard de messire Len devenir larmoyant, et Skronk s’asseoir, tout en gémissant.
_  Skronk en peut plus, Skronk fatigué. Skronk en avoir marre de lutin qui l’énerve.
_ Ecoute Sabrane, me dit Len, on ne réussira jamais à faire ce que l’on me demande, c’est sans espoir. Je n’en peux plus. »
           Je retournai vers la plaine de rochers accidentés, pour voir des ombres du sol se lever. Ses ombres avaient une sorte de matière en même temps solide et en même temps gazeuse.
« Nous sommes des Srutals, me déclara la forme la plus proche dans un état de voix larmoyant. Avant, nous étions des voyageurs comme vous. Mais en passant par ici, nous avons rencontré un être qui nous a rendu ainsi, comme nous sommes maintenant. Il nous a retiré tout espoir. Et bientôt, vous serez comme nous. Des êtres qui donnent le désespoir, et transformants les voyageurs en semblables. Mais tu ne sembles pas autant affecté que les autres par notre présence.
_ Je… je ne sais pas, répondis-je. Je sens quelque chose en moi qui chasse ce désespoir.
            La créature renifla bizarrement, puis sembla sursauter, si cela était possible pour des créatures de ce genre.
_ Tu as le pouvoir que nous détestons. Tu a le pouvoir de l’espoir, le pouvoir de la vie ! Ne t’approche pas de nous.
            Je me regardais. En entendant le fait que j’avais un pouvoir concret, je ressenti un grand sentiment d'espoir, et j’en irradiais. Tout en regardant mes compagnons, je senti comme des battements de cœur qui ébranlaient tout mon corps.
_ Vous êtes autant capables que des dieux pour réussir cette mission mes amis, m’adressai-je à mes amis. Allons, relevez-vous. Le monde à sans doute besoin de nous.
           Ils se relevèrent, le sourire aux lèvres. Je me tournai à présent vers les êtres. Ils semblaient fondre, tout en gémissant.
_ NON ! NOOOOOOOOON ! Criaient-ils. »
           Soudain, ils disparurent. La lumière qui irradiait ma poitrine s’éteignit. Je me retournais vers mes compagnons de voyage.
_ Tu nous as sorti d’un bien mauvais pas, Sabrane Hyle, dit messire Len.
_ Bah, il faut bien, je n’aime pas me trouver tout seul.
           Je fis un pas en arrière, et glissai sur une pierre. Je tombai en arrière. Je dis ensuite, au niveau du sol, avec un énorme sourire aux lèvres :
_ Allez, la route continue ! »

Skronk :

             Des cailloux, encore et toujours des cailloux. Même le désert d’où vient Skronk est plus intéressant. En plus dans le désert, on ne risque pas de tomber sur des créatures visqueuses qui donnent envie de pleurer. Après ce petit incident et ce soudain regain de vigueur que Skronk n’arrivait pas à s’expliquer, les trois compères reprennent leur ascension à travers la montagne.
             Depuis un petit moment, la voix nasillarde d’Anuzik résonne dans sa tête. Depuis quelques jours déjà, le lutin harcèle Skronk des mêmes boniments :
« Espèce de pachyderme sans cervelle, la vieille dame te faisait confiance, et toi, il a fallu que tu lui arrache la tête. Tu serais déjà rentré si tu n’avais pas suivi ces microbes. Ils se moquent de toi !
_ Skronk a déjà dit au lutin moqueur toute l’histoire. La vieille dame devait mourir et elle a montré le sacrilège. Skronk n’aurait pas dû accepter de partir. Non, il n’aurait pas dû ! Skronk est maudit ! C’est la faute à la vieille dame ! »
           Encore fatigué de marcher, Skronk traîne à quelques mètres derrière ses deux compagnons, qui se retournent de temps en temps par curiosité, pour essayer de comprendre pourquoi le Barbare grommelle dans sa barbe sans arrêts. Au bout d’une heure ou deux, ils n’y prêtent plus aucune attention.
           La nuit commence à tomber. Le petit magicien s’arrête en désignant une petite caverne. Skronk ne veut pas dormir là-dedans. Skronk veut voir le ciel, sinon Skronk ne peut pas dormir. Si ça se trouve, il y a plein de lutin dans la caverne. Skronk n’y mettra pas les pieds ! Skronk a bien assez de problèmes avec Anuzik. Skronk se retourne brusquement sans laisser le temps à ses compagnons de pouvoir dire quoi que ce soit.
La nuit est fraîche. Quelques gouttes de pluie commencent à tomber, et en quelques minutes elle se transforme en averse. Adossé contre la pierre, à l’extérieur de la caverne, Skronk ne bronche pas. Plutôt mourir que rentrer dans la caverne !

Thurim Vessiel :

             La marche jusqu’à Ronial fut longue et pénible. Ce ne fut que successions de pentes rocheuses, de dangereuses montées, ajoutez à cela que nous avions dû faire un détour d’au moins quinze lieues, car nous nous étions rendu compte trop tard de l’impraticabilité des hauts chemins forestiers passants par les Monts de Branora. Nous devions notre salut à Val Harkan qui connaissait heureusement assez bien les recoins de la région : Je n’osais cependant pas lui demander la manière dont il avait acquis cette connaissance géographique, ce n'avait sans doute pas été dans un quelconque but touristique…
              Toujours est-il que nous étions parvenus tant bien que mal dans le petit comté : une modeste seigneurie qui s’étendait sur environ cent lieues à la ronde, un ensemble de petits villages essentiellement constitués de fermes et de petites exploitations agricoles. Hélas, nous n’avions pas assez de temps devant nous pour nous permettre de nous attarder, ne serait-ce que pour nous reposer après le voyage que nous venions de faire. Après notre bref entretien avec le comte Tarich Longhorn, nous avions pu obtenir de sa part les trois meilleurs destriers qu’il avait en sa possession dans l’une des nombreuses étables de Ronial, ville principale et éponyme du comté. Harkan n’en finissait pas de me surprendre : Comment se faisait-il qu’un tel homme ait un personnage relativement important tel qu’un comte dans ses relations ? Mais mon instinct me disait également de ne pas chercher à connaître tous les détails de la relation qu’ils avaient eu par le passé. Après nous être rapidement rassasiés, nous repartîmes avant que la nuit tombe… Il se passa à peine quelques heures avant que nous arrivâmes enfin à Anatil. Sans était-ce, il y a des milliers d’années, une brillante cité elfique, comme elles le furent toutes avant qu’elles ne soient coupées du monde extérieur. Mais à présent, ce n’était plus qu’une cité fantôme, que même les rats et autres vermines avaient déserté depuis des lustres. Pour une raison que j’ignorais encore, nos montures se mirent à hennir alors que nous passions le portique de pierre dont l’arc s’était effondré. Cela ne rassura pas Bianne, qui se doutait que c’était à cause d’un danger… Mais nous n’avions pas le choix, car d’après le comte Longhorn et Harkan, c’était le seul ancien lieu de résidence elfique qui était encore en état d’être exploré, malgré le terrible état de décrépitude dans lequel il se trouvait déjà. Nous abandonnâmes donc nos chevaux à l’entrée de la cité grisâtre.
           Après un temps de marche à enjamber les énormes pierres qui provenaient des bâtiments en ruines, nous pénétrions dans une très grande salle commune entièrement vide. Nous étions entrés par une immense porte à doubles battants, faite d’un bois très épais qui n’avait étrangement pas verdit malgré le climat humide qui régnait dans cette partie de la région. Cette salle était si vaste que, de là où nous étions, nous ne pouvions voir le plafond, ni le fond de la salle. Harkan avait de plus en plus de doutes au fur et à mesure que nous avancions, ce vaste endroit où ne résidait que l’écho ne lui inspirait aucune confiance. C’est alors que je vis, appuyé contre une colonne, un grand sac de toile trouée de partout, duquel s’échappait de nombreuses herbes. Je m’en approchai et reconnu alors parmi toutes les racines pourrissantes, deux des ingrédients dont nous avions besoin : De l’herbe de Kersh, et de la racine de Xande. Mais alors que j’allais les saisir, Bianne intervint, et sortit sa sarbacane.
« Attention, je sens une présence hostile… Sa puissance est immense… »
          Le sol se mit à trembler, de la poussière blanchâtre tomba de ce plafond que nous ne pouvions voir. Nous vîmes, venant du sombre fond de la salle, s’avancer une énorme forme monstrueuse… Un démon venu du fond des âges, un démon qu’il avait fallu bannir de la surface d’Islotanra car aucune créature terrestre n’aurait été capable de la détruire…. Il était revenu…

Bianne :

           Un géant de quarante huit pieds de haut, velu, cornu, griffu, noir de poils, les yeux de feu, une gueule énorme, profonde, vient de surgir du sol.
          Avec lui nous vient une insupportable odeur de souffre, et l’air se réchauffe, tout à coup. Un grincement lourd résonne à chaque pas qu’il fait vers nous. On croirait que le sol lui-même répugne à le porter.
           Je serre ma sarbacane inutile dans mes mains. Aucune fléchette, blanche ou noire, ne pourrait venir à bout de ce mastodonte. Harkan a imperceptiblement reculé vers le mur.
« C’est… Quoi, ce truc ?
_ Malk Shur, répond Thurim. »
            Sa voix est devenue sourde, son regard a changé. Il semble figé par la stupeur, cet homme que rien ne semblait capable d’ébranler, ni de voir un de ses compagnons se changer en dragon, ni l’apparition d’un ange devant lui. C’est lui que le géant regarde.
« KARNECTAE INTOERA MASTEC, THURIM VESSIEL ! Beugle le monstre. »
Enfin je te retrouve, Thurim Vessiel !
           Il s’approche du sorcier immobile qui le regarde venir comme éteint, sans parvenir à réagir.
« Thurim ! Hurlé-je. Bougez, au nom de toutes les créatures des trois mondes, bougez ! »
          Mais mon compagnon ne bouge pas. La main du démon se tend vers lui. Je le tire en arrière et le jette à terre. La paume du démon effleure mon épaule…
          C’est comme d’avoir été aspergée de feu liquide. Je pousse un hurlement déchirant. Le démon beugle, recule en se tenant le poignet. La trace de mon contact sur sa peau luit comme une trace d’argent. Serrant les dents pour oublier la douleur, je me dresse devant Thurim. Il faut que je me transforme le plus tard possible.
          Le démon me regarde.
« COLSTATAERE MINTEHNYAI QUIRTALAIAN. »
Seule tu ne peux rien pour me vaincre.
            Je sais. Je suis loin d’être assez puissante. J’ai renié ma nature et les miens depuis bien trop longtemps, et ma force s’est émoussée. Mais je peux l’affronter. L’affronter suffisamment longtemps pour l’affaiblir, faire en sorte que les autres aient la possibilité de le vaincre. Seulement, il va falloir que je prenne garde à fermer mon esprit, si je ne veux pas que les Célestes me retrouvent. J’écarte les mains et murmure l’incantation que j’ai apprise petite fille, pour avant le combat. Le cercle des anges se forme autour de moi et du démon. Il ne pourra en sortir qu’après m’avoir vaincue.
« Bianne !
             Thurim dans mon dos, vient de sortir de sa torpeur.
_ Bianne, ne faite pas ça, vous n’avez aucune chance ! »
            Je respire une dernière fois l’air pur, et, prenant garde à fermer mon âme, pour éviter d’être détectée par les autres Célestes, je commence à me transformer…


Malk Shur :

       
À peine sommes-nous arrivés qu’un de ses insectes a lancé une incantation. Qu’est-ce donc ? Un cercle ? Ahahahaha ! Vraiment très drôle ! Comme si un misérable cafard de son espèce pouvait nous retenir ! Approchant notre main de la paroi, nous commençons à exercer dessus une légère pression, puis appuyant de plus en plus fort nous nous mettons à rigoler en pensant que cette barrière va s’écrouler. Soudain, quelque chose nous préoccupe, une impression désagréable : Non seulement la barrière nous résiste, mais en plus la personne prisonnière avec nous s’est transformée en…
           « UNI KARANO ?! NIO SUSAT ALE NOTA ENALL MARUT ! »
           Un ange ?! Nous croyons qu’il n’y en avait plus !
           Et voilà que nous nous mettons à douter ! Nous haïssons le doute, c’est le début de la peur ! Même si, pour l’instant, nous ne craignons rien. Pourtant… Ce cercle… Rhaaa nous détestons le doute, si nous pouvions, nous nous jetterions sur lui pour le dévorer ! Enfin, pour le moment, il est inutile que nous nous fatiguions sur cette barrière, nous ne nous attendions pas à ça… Un ange… Il doit être le dernier de son espèce… Mieux vaut que nous nous économisions et que nous fassions un pacte avec lui :
           « KARANO ! NIO TURA SARAC UNI KAFAXO. TUR DECARATUM ERAST IGNUIFIO Y NIO YURA KE HARSKAPA JUELI THURIM VESSIEL!
            Ange ! Nous te proposons un marché. Tu détruis cet enchantement et nous te promettons de nous en prendre qu’à Thurim Vessiel !
_ NON ! Ce n’est même pas la peine de me demander une telle chose ! Tu vas devoir me passer sur le corps pour quitter cette prison ! »
              Prison… Ce mot… Ce mot détesté… NOUS VOMISSONS CE MOT ! Il a le don d’engendrer en NOUS la haine ! Et la haine crie :
              « NEKARATOOOOO ! »
              VENGEANCE !
             Vengeance pour les années passées à errer dans cette dimension. Vengeance pour avoir été banni par delà le temps et l’espace ! Ce misérable vermisseau se croit fort parce qu’il est un ange ? Il veut se dresser contre nous ? Soit, qu’il meurt et que sa barrière s’effondre quand nous plongerons nos crocs dans son corps, que nous délecterons de sa chair parfumée de peur, quand la douleur s’insinuera en lui et que nous nous régalerons de son âme, on verra s’il n’aura aucun regret ! Notre regard se verrouilla sur notre ennemi, et nous nous avançons alors vers lui dans un seul but : ANNIHILER !


Thurim Vessiel :

             Je ne pouvais rien faire, rien faire tout seul face à une telle puissance démoniaque. J'avais déjà eu énormément de mal à le bannir de cette terre, malgré l'énorme sacrifice dont avait fait preuve celui qui m'avait permis de le faire à l'époque. Mais ce n'était plus possible aujourd'hui. Dame Bianne voulu tenter l'impossible, en dévoilant sa vraie nature au grand jour, et bien que le démon ait partiellement brisé son cercle magique, le courage qu'elle déployait en se lançant sur l'ennemi venu du fond des âges n'en demeurait pas moins immense. Je levai alors mon bâton, murmurant quelques sorts que je m'apprêtais à lancer, tandis qu' Harkan sortait son arbalète. Nous savions tout deux que nous n'avions pas la moindre chance s'il venait à nous attaquer, mais il fallait à tout prix que nous épaulions notre angélique compagne, quoi qu'elle ait eu en tête. Harkan leva les yeux, plus par réflexe qu'autre chose : un orage venait de se déclarer haut dans le ciel. « NALÏËVA ! »
            Les premiers coups portés n'apparurent que comme des jets de lumières blancs à nos yeux mortels, les adversaires paraissaient se battre sans se toucher, mais nous pouvions sentir que de là où nous étions, le combat était d'une extrême sauvagerie. Nous ne pouvions entendre que les cris de la bête, non pas que Bianne ne subisse aucun dégât, mais ses cris étaient beaucoup moins audibles que les cris rauques du démon.
« TARNA !»
             J'entendais pendant ce combat de multiples incantations dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Des mains hideuses de créatures sortirent à plusieurs reprises des flammes noires, provenant du Monde du Dessous. Ses sorts meurtriers n'atteignirent pas son ennemi angélique, mais manquèrent de peu de nous carboniser moi même et Harkan. Ce dernier, en représailles, tira avec la vélocité d'un archer elfe, une dizaine de ses carreaux d'arbalète enduits de son poison le plus mortel. Mais leur contact avec la peau du démon, infiniment plus dure que du Mythril, ne lui fit même pas l'effet d'un dérangeant moustique. L'énergie lumineuse que déployait Bianne parvint tout de même à en épuiser le monstre qui fut couvert de marques blanches partout sur son corps. Mais il lui suffit de profiter d'un instant de distraction de son adversaire, l'éloignant, à grand renfort de magie impure, suffisamment longtemps pour qu'il régénère ses blessures, alimenté par la seule sombre force venant des entrailles de la terre.
            Mon incantation était enfin terminée, malgré plusieurs interruptions. Je me doutais bien que cela n'allais pas suffire à mettre en déséquilibre les forces, mais peut être cela permettrait à Bianne de prendre l'avantage. « ORRIEL NIRNA !»
Un tas de pierre se mit soudain à tomber du plafond. Nous pouvions maintenant le voir au grand jour, venant d'être percé par un énorme éclair ayant pris la forme d'un serpent. Tous, même Malk Shur s'interrompirent pendant un instant, attendant que les crochets acérés de la créature magique se referment sur la tête du démon. Mais il n'en fut pas ainsi. Malk Shur continua son combat contre Bianne d'une main, tandis qu'il bloquait littéralement mon sort avec son autre main libre. J'eu des sueurs froides lorsqu'il le renvoya vers moi... et que je ne pus l'éviter. J'eu à peine le temps de me lancer un sort de protection mineur, ma magie ayant été presque épuisée. Le serpent de foudre, à l'impact, forma un cratère dix pieds de diamètre, sur cinq de profondeur. Je n'étais pas au fond, mais à quelques mètres de là. Je sentis se dégager de moi une odeur de souffre, j'étais incapable de faire le moindre mouvement sans qu'une douleur atroce s’empare de tous mes muscles... Harkan voulut se précipiter vers moi, mais il courut d'abord vers la personne la plus proche : Bianne, qui suite à cette distraction s'était faite plaquée, même, écrasée contre le sol, par l'ignoble poigne de Malk Shur. Seul Harkan était encore en état de se battre. Mais que pouvait-il faire à présent...


Val Harkan :

           Ce démon était gigantesque ! Mes flèches n’avaient eu strictement aucun effet sur lui. Je me sentais une fourmi au milieu d'un combat de dragon. Soudain le démon plaqua Bianne au sol. Je me précipitai vers elle, entrant inconsciemment dans le cercle de protection à moitié branlant. Le démon l'avait lâchée, et se préparait à l'attaquer. Sans hésiter, je tirai de ma sacoche rouge ma fiole de glycérine, et la lançai de toutes mes forces à la gueule du démon. Il la croqua littéralement, provoquant une énorme explosion. Je fus soufflé à terre et atterris à côté de Bianne. D'un bond, je me remis sur mes pieds et sorti du cercle, Bianne dans mes bras. Une autre explosion, plus puissante encore que la dernière me projeta à nouveau au sol, Bianne avec moi. Le démon venait de briser le cercle de protection. Bianne murmura :
« Sauvez-vous.
_ Non, répliquai-je. C’est hors de question.
           Elle me jeta un regard d'incrédulité, puis me scruta d'un regard interrogatif. Elle devait avoir une sacrée influence sur les pensées, car je répondis immédiatement :
_ C’est peut-être bizarre, mais je refuse de perdre la seule personne que je peux considérer comme une véritable amie. »
           A peine ces mots sortirent de ma bouche que je me mordis les lèvres. Mais qu'est-ce qui me prenait ? Mais toutes ces pensées disparurent tout à coup. Une nouvelle sensation entra en moi. Un appel. Sans réfléchir, je me levai, et me tournai vers le démon. A peine fut-il dans mon champ de vision que je me sentis comme attiré par une force incommensurable vers le feu sombre entourant son corps. Mes muscles se mirent en marche seuls. Le démon fut surpris de me voir avancer vers lui en résistant. Quand je ne fus plus qu'à quelques pieds de lui, je captai une odeur. Une odeur qui me rendis furieux. Réellement furieux. Cette ordure portait l'odeur de mon père. Je serrai les dents, et portai la main au médaillon doré pendu à mon cou. Le démon réagit immédiatement. Il m'attrapa par le col et arracha d’une pensée le médaillon. Il le lança dans un coin de la pièce et fit de même pour moi, mais à l'opposé. Je n'eu même pas le temps de retomber au sol. Il me plaqua à une dizaine de pied des dalles de pierre en m'écrasant de son immense griffe. Je m'attendais à que son contact me brûle, me fasse hurler de douleur. Mais étrangement, Le feu de ses mains ne fit que raffermir ma volonté de le tuer.
« Le médaillon! Hurlai-je aux deux autres. Ouvrez ce foutu médaillon ! »
              Du coin de l'œil, je vis alors une lumière éblouissante. Bianne, sous forme humaine, rayonnait d'une lumière Si intense qu'elle en blessait les yeux. Elle hésita, puis ramassa le médaillon. Enfin, elle l'ouvrit.
               Lorsque le cœur de l'objet s'ouvrit, il en sortit un éclat blanc neige, au moins aussi puissant que celui que dégageait Bianne. Mais celui-ci eu un effet plus profond qu'un éblouissement. Je sentis jusqu'à mes entrailles vibrer en réponse à ce rayon. Les yeux du monstre s'agrandirent de surprise quand il me vit grandir. Mes muscles et mes os grossissaient à vue d’œil. En quelques seconde j'eu atteint le double puis le quintuple de ma taille normale. Ma peau se mit alors à se craqueler, pour ensuite tomber en lambeaux, alors que mon visage s'allongeait, se déchirant lui aussi. Enfin, mes crocs poussèrent. Des longues dents, bien blanches et bien tranchantes. Ma main devenue une véritable arme se referma sur le poignet du démon. Je m'étais jusqu'alors transformé deux fois dans ma vie. Mais jamais il ne s'était pas passé ce qui se produisit ensuite. Mon corps aspira littéralement le feu émanant du démon qui, à ce moment, tenait dans son poing la gorge d'un loup à silhouette vaguement humaine et surtout enflammé. Comme à chaque transformation, l'instinct bestial, le loup, pris le pas sur ma propre raison. Ma patte droite décrivit un arc de cercle qui se termina dans ta gueule du démon, lequel poussa un hurlement de douleur. Il me lâcha, et j'atterris souplement au sol. Sachant que malgré tout mon ennemi restait plus puissant que moi, je m'élançais vers lui et lui assenai un coup qui laissa cinq longues écorchures sur son flanc. Il porta un coup, que j'esquivai. Notre échange dura un bon quart d'heure, nos grondements rauques résonnant dans la salle. Ses coups, bien que puissants étaient lents. D'un autre côté ma force bien qu'ayant décuplée, n'était pas aussi importante que la sienne. Mais il avait perdu son principal avantage : sa taille. Nous combattîmes donc, défonçant les murs, s'envoyant tour à tour des coups d'une puissance phénoménale. Il porta alors un coup direct au mauvais moment, et ce fut son erreur. Ce fut mon tour de le saisir et mes griffes s'enfoncèrent dans son cou. Seulement, contrairement à lui, mes crocs cherchèrent automatiquement à atteindre le point sensible. Il eut un geste presque désespéré, mais qui ne servit à rien. Mes mâchoires se refermèrent impitoyablement et son cri lui resta dans la gorge. D'un coup sec, je lançai ma tête en arrière, emportant entre mes crocs ses cordes vocales. Il recula en chancelant et en tenant sa gorge. Je ne crus pas une seconde l'avoir blessé à mort. Il allait se régénérer. Mais cette blessure l'avait considérablement affaiblit, suffisamment pour l'achever. Mais une pensée me stoppa dans mon élan. Ce démon, cette abomination était le seul être à savoir ce qu'était devenu mon père. Je reculai de quelques pas, et poussais un nouveau grognement. Soudainement, je fus pris d'une faiblesse incroyable.
           Non !
           Je me tournai vivement vers la Pierre de Naissance, vers ce cadeau des loups. Un rocher, sans doute tombé de la voûte, reposait sur ses fragments qui perdaient rapidement de leur intensité. Je me mis à hurler alors que mes membres reprenaient douloureusement leur forme originelle, que ma peau se déchirait une nouvelle fois pour laisser place à l'épiderme humain. Je m'affalai au sol, incapable de faire un pas. Le feu qui, quelques instants plus tôt, m'entourait et me protégeait, disparut également. Je lançai un regard d'horreur vers le démon qui, déjà, commençait à se régénérer.


Bianne :

          
La lumière...
               Elle m'irradie, m'inonde. J'ai pourtant repris ma forme humaine, mais elle est encore là. J'en ai presque les larmes aux yeux. Lumière... Feu... C'est notre récompense.
               Oui, Harkan, vous avez raison. Vous et moi, nous nous affrontons depuis si longtemps. Vous perdre, ce serait me retrouver définitivement seule.
               Il fallait cela... Il fallait cela pour pouvoir rencontrer notre pouvoir divin, celui que nous devons consacrer à Tan-Klaroz, pour réveiller la race Georym en lui... Il fallait nous unir, comme les deux peuples ennemis d'où je suis issue l'ont fait, il y a des milliers d'années de cela, pour ne pas disparaître.
               Il fallait que nous nous unissions, pour que la lumière se réveille en moi, que le feu se réveille en lui, que nous trouvions le lien vers notre élément.
              Je serre toujours le médaillon dans mes mains... Avant, il contenait une mèche de mes cheveux.
             Maintenant, je comprends, c'est l'écrin idéal pour dissimuler la pierre qui fait de l'homme un loup...
             Et à présent que cette pierre est brisée par les rocs, le loup commence à disparaître, pour redevenir homme, un simple homme, si fragile face au démon.
            J'ai reculé imperceptiblement jusqu'à l'endroit ou est étendu notre compagnon sorcier. Il est dans un sale état. Je m'accroupis près de lui et l'entoure de mes bras.
« Relevez-vous, Thurim. Ouvrez les yeux.
            Je l'inonde de ma lumière, réparant son corps meurtri donnant toute ma force.
_  Prenez ce qu'il vous faut de mon énergie. Et dites l'incantation. Nous l'avons affaibli suffisamment pour que vous puissez le détruire. Dîtes l'incantation, maintenant ! »
           Mon pouvoir semble agir. Entre mes bras, le sorcier bouge. Avec effort il lève la main. Je resserre mon étreinte, et lui abandonne toute ma force. Son geste devient plus ferme.
              Entre les griffes du démon, Harkan a maintenant retrouvé sa forme humaine
« Artantaoc estab rmesterctiva ! »
            Le démon lâche soudain notre compagnon, mon ennemi d'hier, mon allié d'aujourd'hui et recule en hurlant. Trop tard, une gerbe de feu d’un bleu azur l'entoure, le recouvre, et le réduit en cendre.
            Le silence tombe sur les ruines... Un instant, nous restons tout les trois immobiles. Incapable de croire que nous avons bel et bien échappé au pire.
             Je suis restée métamorphosée longtemps. Est-ce que ça a suffit aux Célestes pour me localiser ?
               C'est lorsque cette pensée me vient que je réalise que tout est redevenu normal. J'éclate de rire. Un rire nerveux, qui se communique à mes compagnons malgré eux. Quelques gravas tombent dans mes cheveux. Le plafond a été endommagé par tous ces combats.
« Ne traînons pas, suggère judicieusement Thurim.
               Il ouvre le sac de toile et y prend une racine à la couleur bleutée, et une poignée d'herbe couleur blé.
_ Racine de Xande et herbe de Kersh, cette fois nous avons tout. Partons. »
              Nous nous hâtons vers la sortie, bien nous en prend, car le toit commence à s'effriter derrière nous.
              Alors que nous revenons sur la route, Thurim s'immobilise soudain.
« Harkan... Ce démon était la seule créature qui pouvait vous dire ce qui est advenu de votre père!
_ Oh… oubliez ça. Il n'avait pas l'air disposé à me renseigner. Et puis, oubliez le reste aussi. Vous avez fait ce qu'il fallait, ç’aurait pu être vous à la place de lui.
            Je souris intérieurement. Le sorcier est ému. Il affrontera au moins dix Malk Shur avant de l'admettre mais il est ému. J'aspire goulûment l'air de la nuit. La vie est si simple, parfois...



Thurim Vessiel :

           
Nous revenions rapidement au grand portique écroulé, symbolisant d'entrée de cette cité fantôme. Nous avions rempli la plus grande partie de notre mission de sauvetage, maintenant, le plus dur restait peut être à venir.
            En effet, nos montures n'avaient sans doute pas supporté les courants d'air maléfiques que Malk Shur avait répandu tout autour de la ville détruite. Nous avions beau les avoir attaché le plus grand solidement du monde à de vieux arbres, il ne restait à présent plus que des lanières cassées. Harkan pestait, donnant des coups de pied contre des pierres, se rendant compte de la longue et fatigante route qui nous attendait. Nous ne pouvions plus nous permettre de passer par les terres du comte Longhorn. Comment lui aurait-on expliqué que nous avions perdu trois de ses meilleurs destriers auxquels il tenait comme à ses propres enfants ?
           Nous devions nous efforcer de nous soutenir mutuellement dans l'effort de marche. Il ne nous fallait pas nous attarder plus longtemps dans ces terres désolées, habitées par on ne sait quels genres de spectres et autres ectoplasmes. Il nous était donc nécessaire de faire un maximum de chemin avant la tombée de la nuit, qui semblait déjà, hélas, assez proche. Harkan nous avait conseillé de faire un petit détour par les plaines de Lasfarell, les vastes étendues de terre ne faisant pas parties du comté de Ronial. Le trajet ne fut pas pénible, mais ennuyeux, car aucun de nous ne parla plus de quelques minutes en l'espace de longues heures. Mais cela me permis de faire le point dans mon esprit sur ce qui me poussait maintenant à rester en compagnie de ces gens.
Malk Shur était peut être un signe que le destin m'adressait, me disant qu'il fallait maintenant que j'accorde plus de confiance à mes compagnons qui venaient de m'aider enfin à détruire ce démon puant, alors que je vivais depuis tant d'années dans l'ombre de celui ci, attendant de le voir revenir... je commençais à vraiment croire en cette prophétie, qui avait pourtant l'air si peu vraisemblable qu'elle aurait été écrite pour un conte pour enfants. Cette faculté que possédait Harkan de se métamorphoser en bête de la nuit, ainsi que sa formidable capacité à littéralement absorber la toute puissance flamboyante de Malk Shur, me faisait vraiment penser qu'il y avait une grande chance pour que cette histoire à dormir debout ne soit en fait que la pure vérité. Et cette angélique Bianne. Elle semblait en savoir plus sur mon véritable but que ce qu'elle ne voulait laisser paraître, combien de temps ce passerait-il avant qu'elle ne le découvre complètement ? Et ce Tan-Klaroz, ce pouvait-il vraiment qu'il fasse partie de la race des Georym, un humain qui paraissait pourtant si ordinaire ? Tant de suppositions valaient-elles réellement la peine de risquer tout ce que je respectais jusqu'à présent, à savoir la réputation de toute l'Académie et le "vénérable" Trébonius ?
                 Mais si je devais faire ce pourquoi l'on m'avait envoyé auprès de Tan-Klaroz, il n'y aurait plus rien à respecter... plus rien à défendre... plus rien du tout, si la divinité dont le nom ne doit pas être prononcé devait revenir asseoir sa domination absolue sur Islotanra. Si nous étions tous assez fous pour tenter de nous opposer à cette résurrection annoncée depuis des temps immémoriaux, nous devions faire tout ce qui était en notre pouvoir pour qu'une telle chose n'arrive pas... et moi y compris.
             Il faisait nuit à présent. Nous nous étions allumé un feu de camp sous quelques arbres, en bordure d'un petit bois qui jouxtait la route des Crêtes, qui allait devenir notre prochaine étape vers notre point de rendez-vous, là où se trouvait sans doute encore, notre malheureux compagnon emprisonné dans la glace, et pour lequel nous venions de faire tant d'efforts.
           Je pensais encore, alors que je regardais paisiblement le feu brûlait d'une douce et chaleureuse lumière rouge. J'avais changé, à mon âge, j'avais changé au contact de ces gens. Jamais auparavant je n'aurais osé discuter les ordres des Hautes Instances des Arcanes. Mais hélas, cela n'allait pas passer longtemps inaperçu...
           « Quelque chose ne va pas Thurim, vous paraissez soucieux ? Me dit soudain Bianne
_ Non, ce n'est rien, je réfléchissais... disais-je en restant les yeux fixés sur le brasier.
           Je voyais fort bien d'après son aura qu'elle ne me croyait pas. Elle n'insista pourtant pas et alla s'allonger sur un tapis de mousse à quelques mètres derrière moi. Je regardais à ma droite, Harkan était déjà endormi, il me fallait également prendre un peu de repos, nous avions encore trois ou quatre jours de marche devant nous...

Chapitre suivant

Retour à la page de garde

 
 
 



Créer un site
Créer un site