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Chapitre 15 : Volontés.

Tan-Klarôz a enfin accepté son destin, et marche pour rejoindre ses compagnons à l'endroit où ils l'attendent. Bianne, Harkan et Thurim, eux, ont enfin trouvé les ingrédients qui vont délivrer Farkas de sa prison de glace. Tout est pour le mieux

Thurim Vessiel :

           La route des Crêtes ne fut qu'une succession de plaine et de vallées. De nouveau, cette marche fut fatigante et ennuyeuse, tant que nous n'avions pas pu la mener à dos de cheval. Ses jours furent sans doute les plus longs de mon existence depuis le pèlerinage que j'avais du effectuer lors de ma toute première initiation aux arts Arcaniques afin de pleinement communier avec Carbunkle dans la souffrance de l'effort.
           Au crépuscule du troisième jour, nous étions enfin en vu de la sombre forêt où nous avions laissé notre compagnon malheureusement glacé, ainsi que son gardien désigné. Nous ne nous étions pas reposé depuis sans doute plus de quarante heures, mais il fallait délivrer notre ami le plus vite possible tant que cela était encore envisageable. En effet, j'avais lancé un sort mineur de conservation sur ma petite sacoche de toile contenant les ingrédients destiné au contre sort, car bien que j'en connaisse les caractéristiques, je n'avais aucune idée du temps qui leur fallait pour se dégrader et devenir de ce fait totalement inefficaces ... en fait, ils étaient peut être inutilisables depuis des siècles déjà. Mais il fallait malgré ces sombres doutes tenter l'irréalisable, car s'il n'y avait plus de Farkas Tedzek, il n'y aurait plus de prophétie, puis à long terme, plus rien d'autre que le néant du sombre présage qui était de jour en jour un peu plus proche.
           Il était donc hors de question de nous accorder un seul instant de repos avant d'avoir tout fait pour le délivrer de cette malédiction.
           Nous entrâmes alors, après un petit bon de chemin pour retrouver notre route, dans la petite clairière où trônait au milieu, tel la statue d'un héros déchu, notre compagnon d'infortune, le nécromant était assis à quelques mètres plus loin. Il devait sûrement avoir perçut notre présence, mais il ne bougeait pas ; un non initié en magie impure tel que moi aurais pu dire qu'il était en pleine méditation. Mais quand nous nous approchâmes un peu plus, il ouvrit les yeux et dit.
_ Pff... Vous voilà enfin !
           Je crus un instant que cette réflexion banale allait entraîner un accès de colère de sa part, comme punition pour l'avoir laissé seul pendant de longues journées, n'ayant pour seuls passe-temps que de tuer les animaux aux alentours et les quelques voleurs et bandits imprudents qui auraient eu le malheur de passer par cette partie de la forêt. Mais quelque chose d'imperceptible en lui avait changé, son aura était aussi calme et apaisée que les vents, soufflant d'une douceur infinie sur les collines du royaume d'Elazul. Je sentais que Bianne avait une envie irrésistible de lui demander pourquoi il était aussi détendu, mais une autre question sortit de sa bouche.
_ Tout s'est-il bien passé ?
_ Tout s'est bien passé... répondit-il simplement
           On pouvait presque ressentir, émanant de lui, la douce béatitude et la sérénité de la mort. Il reflétait à présent parfaitement l'image qu'il donnait de lui, aussi transparente que l'eau de source... Harkan, quand à lui, semblait beaucoup moins s'intéresser au cas du nécromancien qu'à celui de notre ami congelé, il me rappela d'ailleurs à mes devoirs.
 _ Et maintenant Thurim, comment comptez-vous utilisez ces ingrédients que nous nous sommes donnés tant de mal à trouver ?
           Je ne répondis pas immédiatement, je réfléchis quelques instants.
_ Harkan, auriez-vous l'obligeance de vous poster à côté de Farkas ?
Pourquoi cela ?
_ Vous verrez dans peu de temps...
           Sans vraiment chercher de plus amples explications, il s'exécuta. Bianne restait à mes côtés tandis que je s'asseyais en tailleur. Je sortis les trois ingrédients de leur sacoche et les plaçais soigneusement dans ma main droite. Je la recouvrais ensuite de ma main gauche et me mis à prononcer diverses incantations héraldiques. Il ne se passa pas longtemps avant qu'une lumière rougeâtre ne se dégage de mes mains fermées, signe que les ingrédients n'étaient donc pas aussi inutilisables que je le pensais. J'ouvris mes mains, et laissai s'en échapper une petite boule de lumière rouge semblable à une fée qui se dirigea, sous les regards médusés d'Harkan et Bianne, vers la statue de glace, la lumière explosa en une multitude de particules qui vinrent tournoyer plus vite que ne pouvait voir l'œil humain, autour du corps immobile de l'elfe. Sa peau reprit peu à peu une teinte normale, aussi normale que puisse être la peau d'un elfe. Lorsque toutes les petites particules eurent disparues, il tomba en avant, heureusement rattrapé de justesse par Harkan, resté à coté.
          Notre ami ne semblait pas au meilleur de sa forme, mais il était au moins conscient ; je ne pus m'empêcher de sourire intérieurement face à cette vision d'espoir. A présent, il nous fallait attendre le retour de Tan-Klaroz, qui je l'espérais, ne tarderait pas...


Farkas Tedzek :

           Je me réveillai à genoux, Harkan me retenant pour que je ne m'écroule pas. Lorsque j'ouvris les yeux, je vis Bianne et, à ses cotés, le sorcier Thurim.
_  Qu'est-ce qui s'est passé ? Demandai-je. Où sont les autres ?
_Tu as été... immobilisé Farkas, me répondit Harkan. Est-ce que ça va ?
_ J'ai l'impression d'avoir reçu une enclume sur le crâne, dis-je.
_ Un effet secondaire sans doute, commença Thurim. Cela ne m'étonne guère après une aussi longue hibernation.
              Je tournai la tête brusquement dans sa direction, les yeux écarquillés.
_ Une longue hibernation !? Combien de temps suis-je resté en hibernation ?
            Ils se regardèrent, l'air apparemment gênés. Lhao, qui était resté hors de mon champ de vision, répondit à leur place:
_ Ça fait plus d'une semaine que je veille sur toi.
           Je défaillis. Une semaine !? Pour moi, ça faisait à peine cinq minutes que j'avais ressentit ce froid qui m'avait glacé jusqu'au os. Cela me rappela ma blessure au bras.  Je soulevai ma manche afin de juger de sa gravité. Mais ma peau n'avait aucune trace.
_ Un maléfice, murmurais-je.
_ Pardon ? demanda Thurim.
_ Je disais que ce démon m'avait lancé un maléfice, répondis-je.
_ En effet ! Et si nous n'étions pas allé chercher les ingrédients pour vous en libérer, vous ne vous seriez pas réveillés de si tôt, annonça Thurim.
_ Je crois que je vous dois beaucoup. Je ne sais pas si je suis en mesure d'exprimer ma gratitude tant celle-ci est grande !
_ Vous nous débarrassés de ces démons juste avant cela, interrompit Bianne. Ce n'est qu'un juste retour des choses.
_ Merci, lui répondis-je.

Bianne :

           Il n'y a plus qu'à attendre maintenant. Attendre que les autres arrivent. Rien d'autre à faire qu'attendre.
           Lhao s'est repenché vers le feu. Il tisonne un peu, pour raviver la flamme. Farkas s'est approché. La chaleur devrait l'aider à se remettre plus vite du maléfice.
           La nuit est claire, l'air est doux. C'est le moment. Je prends le bras d'Harkan.
_ Eloignons-nous, s'il vous plaît. Je dois vous parler seule à seul.
           Il me regarde un peu surpris. Méfiant, même. C'est normal. Il y a encore trop d'années de rivalité, entre nous. Trop d'habitude. Mais il hoche la tête et m'emboîte le pas. Son irrésistible curiosité.
           Nous nous éloignons sous la ramure. La forêt murmure, autour de nous. Je sens sa narine frémir.
           C'est une nuit idéale pour la chasse. Mais il ne peut pas aller courir au travers des fourrés, ce soir.
           Ce soir, je le retiens.
_ Vous m'avez sauvé la vie, Harkan. Rien ne vous y obligeait, mais vous êtes venu me chercher.
_ N'en parlons pas, s'il vous plait.
          Il est sec. Il n'est pas encore prêt à m'entendre dire merci. Tant mieux; Je ne suis pas prête encore à le lui dire.
_ J'ai une dette envers vous.
           Ma voix tremble imperceptiblement. J'espère qu'il ne l’entend pas. Espoir perdu. Il entend toujours tout.
_ J'ai une dette envers vous, et je peux m'en acquitter maintenant. Si vous le voulez. Mais je ne suis pas sûre que vous le vouliez.
_ Dites à quoi vous pensez.
_ Vous ignorez ce qu'il est advenu de votre père, s'il est vivant ou mort. Souhaitez-vous être fixé sur ce point ?
_ Sur ce point ? Vous sauriez me le dire ?
_ Disons que j'en ai le pouvoir. Mais c'est douloureux. Il faut que vous soyez sûr de le désirer vraiment.
            Il me regarde droit dans les yeux. C'est la première fois qu'il le fait comme ça, ni par défit, ni par colère. Sans hostilité.
_ Quoi que vous vous proposiez de faire, Bianne, ou quelque soit votre nom, faites-le vite.
           Je ne peux pas prendre le risque de me transformer complètement. Il ne suffirait que de ça à mon père pour me localiser. Je me contente de prendre ma vision d'ange. Je le sonde jusqu'au tréfonds de l'âme, trouve le lien qui le lie à son père. Et nous plongeons tous deux dans le souvenir.
            Feu... Feu... Retrouve-moi. Je n’ai plus mon pouvoir. Je n’en veux pas à Thurim, il a fait ce qu’il fallait.
           Le cellier des tourments, un dédale spirituel. Une seule et immense pièce dans laquelle on revient toujours par l'opposé du côté par lequel on essaie de sortir. Murs en marbre blanc. Un espace de coton nuageux sous mes pieds, au dessus de ma tête. Depuis combien de temps est-ce que je marche ?
           Une porte ! Je ne l'avais pas vu plus tôt. Une porte sur mon monde est encore ouverte. Je dois l'atteindre. Je veux rester en vie.
           Non, Malk Shur... Il est devant moi. Il tente de s'y glisser. La porte est trop étroite pour lui, mais s'il force, elle risque de céder
_ Afreacta cmeiché Malk Shur !
Eloigne toi de cette ouverture, Malk Shur
           Il ne prends même pas garde à moi, s'acharne sur l'ouverture. L'ouverture. Oui, bien sûr. Thurim l'a laissée là pour moi. Elle restera ouverte tant que je serais en vie. Tant que je serais...
           Je tire ma dague de ma ceinture, et la dirige vers mon cœur. Etrange, Ça ne semble pas faire mal
.
          Noir, c'est fini. Nous ne verrons rien de plus. Le reste, je ne peux le voir. Mon pouvoir s'arrête aux frontières de la vie.
           Nous restons un instant immobile. Les yeux dans les yeux.
_  Je suis désolée, Harkan.
_  Ce n'est rien. Je n'ai jamais rien su de lui, jusqu'à ce soir.
           Il me regarde.
_ A votre tour, maintenant.
           Je reste un instant sans comprendre. Il insiste.
_ Vous venez de voir mon histoire. Vous. Soyons à égalité. Racontez moi votre histoire, Bianne. Toute votre histoire.
          Je le reconnais, nous devons être à égalité. Finalement, ce sera ça, la partie douloureuse de ma dette. Je m'adosse au tronc de l'arbre sous lequel nous nous sommes arrêtés. Je cherche les mots qui résumeront au  mieux. Plus le récit sera bref, mieux ça sera, mais je lui doit malgré tout toute la vérité. Toute.
_ Ma mère était la troisième fille du souverain d'Escarul. Ce peuple est issu de l’union des derniers Aegis survivants avec des humains. Il vénère depuis des siècles les Célestes, leur permettant de survivre à l'insu des dieux et des races terrestres, et jouissant de leur protection.
Je suis née sans père. Ma mère, destinée à la prêtrise, n'avais jamais approché d'hommes. Personne n'a jamais pu comprendre. Ce n'est qu'à treize ans que j'ai découvert que j'étais la fille d'un Céleste.
_ L'ange Eshiïl. C'est le nom que vous m'avez dit, à la croisée des routes.
_ Oui. Le prince des Célestes. Ma mère et lui s'aimaient dans le secret de tous. Je me destinais aux ordres, puisque ma mère n'avait pas pu accomplir cette destinée, à cause de ma naissance. Je suis devenue Karnac, grande prêtresse de notre culte. Ma moitié angélique me servait beaucoup. On croyait en moi.
               Je serre les deux poings. Même en en disant le minimum, ça fait mal. Extirper tout ça du passé est pénible.
_ Il y a eu la guerre. Nous n'avions pas peur, les célestes protégeaient notre ville. Le roi et son armée ne pouvait rien contre eux. Mais ma mère est morte. Assassinée. Alors mon père a rompu le pacte qui liait les céleste et les Escaruls depuis des millénaires. Il ne voulait plus croire aux humains, qui assassinent, qui tuent les femmes qu'on aime. Les Célestes sont partis, et le roi a pris Escarul.
           Ce sont des mots simples, des phrases simple. Mais derrière, il y a des images, des souvenirs. Ca, il ne peut pas voir, mais moi si. Il ne faut pas que je pleure. Je ne fais que raconter. Ce n'est qu'une histoire comme il y en a temps. Il en a vécu, lui aussi.
 _ Je suis la seule à être restée... Mon père a voulu que je renonce à ma moitié humaine et que je l'accompagne. Mais je me suis sauvée. J'ai d'abord essayé de secourir mon peuple, toute seule.
           Quatre phrases. La décision la plus importante de ma vie en quatre phrases. Le regard brûlant de mon père, persuadé que je n'aurais jamais la volonté de m'opposer à lui. D'ailleurs, je ne l'ai pas eue. Je me suis enfuie sans jamais lui avoir dit ces mots que je me répète sans cesse depuis, jusqu'aux heures les plus tardives de mes nuits de veilles. Tu n'aurais pas du. Tu n'aurais pas du. Quatre phrases pour ce choix qui a fait la différence, pour toute une race, pour les lois les plus sacrées qu'on ai créées, pour moi....
_ J'ai prononcé des incantations qui amenait le malheur à tous ceux qui maltraitaient un fils de ta race Escarul. J'ai commencé à être gênante pour certains marchants d'esclaves. L'un deux a convoqué des enfers un démon pour m'assassiner.
 _ Un démon... Votre démon.
 _ Oui. Je devais mourir de sa main. Il m'a poursuivie des jours et des jours. Et quand enfin il m'a retrouvée... Il n'a pas pu faire ce pourquoi il avait été envoyé. Il m'aimait, comprenez vous ? A force de nous suivre, de nous fuir, nous avions découvert à quel point nos âmes étaient semblables.
                Là encore, ça va si vite. Pas besoin de s'attarder. Le grand refuge que nous avions bâti ensemble. Je serai ton âme, tu seras ma force. Je n'arrive pas à croire à ce pouvoir que je me suis découvert, faire naître l'amour dans un coeur où il n'aurait jamais du naître. Rendre bon ce qui n'aurait dû être que Mal. Harkan ne veut pas non plus que je m'attarde à me souvenir, il continue à ma place.
 _ Alors on m'a envoyé.
 _ Oui, vous. Pour le tuer. Vous l'avez fait. Alors j'ai perdu la foi. J'ai cessé de me battre pour les Escarul. J'ai retrouvé votre employeur. Je me suis vengée. Puis je suis devenue chasseuse de prime. Fin de l'histoire.
           Je me tais. Je tremble et je n'ai pas envie qu'il voit.
_ Restez, murmure-t-il.
           Je n'ai pas encore fait un mouvement pour me lever, mais il a vu juste. Je ne veux pas rester assise, là sous ce chêne. Je me redresse.
_ Ne partez pas maintenant. Me dit-il, en me retenant par le bras.
_ Ne me retenez pas, Harkan, s'il vous plait. Je ne veux pas jouer la suite de cette scène, celle où vous me demandez pardon d'avoir tué mon bien aimé, celui qui a consenti à m'aimer en dépit de sa nature, et de tout ce qui aurait du être logique en ce bas-monde. Je ne veux pas jouer le  moment où je vais me mettre à pleurer et où je vous l'accorderais, ce pardon, parce qu'il n'y a plus le choix, maintenant, parce que nous avons du nous unir pour affronter Malk Shur, parce que vous m'avez sauvez la vie, que je vous ai rendu le dernier souvenir de votre père et livré mon histoire, et parce que même sans ça, même sans la prophétie, il faudrait bien que je finisse par vous pardonner, puisque je n'ai plus que vous, que vous seul me restez de l'époque ou j'avais encore une âme, que vous seul encore avez touché de près ce que j'étais avant, que vous êtes tout ce qui me reste de mon amour. Je ne vous hais pas. Mais par pitié, ne me demandez pas pardon. Ne me demandez pas pardon, s'il vous plait.
_ Je ne le ferai pas. Mais restez. Et pleurez.
               C'est ce que je fais, même si je m'y refuse. Mon corps est secoué de sanglot. Il s'accroupit près de moi, cet homme que j'ai tant haï, cet homme qui m'a tant haïe, et entoure mes épaules de son bras, comme un ami, pour une amie qui sanglote. Je relève la tête.
_ Pourquoi ? Pourquoi faut-il ?
_ Nous le devons. Vous le savez.
              Oui, je le sais.
_ Je n'ai pas la force. Mais allez-y.
              C'est quand il ferme les yeux que je réalise qu'il lui faut plus de courage qu'à moi.
_ Pardon, Bianne. Pardon d'avoir tué votre amour.
_ Je vous pardonne. murmuré-je.
             Mais il ne rouvre pas les yeux, et ne bouge pas. Je rapproche mon visage du sien. Nos fronts se touchent. Il ne recule pas, me laisse le toucher.
_ Je vous pardonne, mais vous devez me rendre ce que vous m'avez pris. Vous devez me rendre la foi. Vous devez la retrouver vous-même, et me la rendre.
_ Je le ferai.
            Ses lèvres ont effleuré les miennes. C'est un accident. Je suis sensée me détourner, m'écarter, mais je ne bouge pas. J'attends que ce soit lui qui le fasse, mais il ne bouge pas non plus. Nos bouches se touchent comme nos fronts l'instant d'auparavant. La sensation de paix que j'en retire me fait me rapprocher, augmenter la pression de ma bouche sur la sienne, au lieu de me détourner. Il ne s'écarte pas. Il ne semble même pas réagir. Il me laisse faire. Je m'écarte de lui. Il a les yeux ouverts, maintenant. Il me regarde, mais ne dit plus rien. Qu'est-ce qu'il y aurait à ajouter ?
           Lentement, je me lève, me détourne de lui, le laisse à sa chasse, retourne vers les autres. Je me sens en paix. Je le sens en paix. Je sais que cette paix est définitive.

Thurim Vessiel

             Nous pouvions enfin prendre un peu de repos, après cet éprouvant voyage. Je m'étais assis au coin du feu, en prenant tout de même soin de m'éloigner le plus possible de Lhao. Les regards mauvais qu'il jetait de temps à autre sur moi n'avaient pour seul but de m'effrayer, mais s'il croyait avoir choisit une cible facile, il pouvait de ce pas s'en retourner vers le royaume des morts. Bianne et Harkan s'éloignèrent soudain se dirigeant vers quelques fourrés à l'abri de nos regards. Farkas avait envie de se lever afin de voir ce qu'ils pouvaient bien faire, mais je le retins. S'ils avaient envie de rester seuls, c'est qu'ils devaient avoir une bonne raison. Pendant quelques minutes, ce fut le calme plat sur la forêt, les oiseaux de se levaient, nous n'entendions plus alors que le doux crépitement du feu. J'avais presque oublié depuis début de cette folle aventure combien ces moments de tranquillité comptaient à mes yeux. Mais alors que j'entrais en méditation afin de régénérer totalement mes pouvoirs Héraldiques, je sentis une présence, non pas familière, mais récurrente depuis quelques temps. Je me concentrai sur son aura afin de le localiser, mais elle était instable, comme s'il voulait que ce soit lui qui me trouve.
_ Real Malfet…
_ Que dites vous Thuri...
          Mais Farkas n'eut guère le temps de se tourner vers moi que j'avais déjà disparu bien au delà de sa vue, m'étant téléporté à l'endroit le plus précis d'où provenait l'aura.
            J'ignorais où je pouvais me trouver à présent dans la forêt, même si d'après la faiblesse des auras que dégageaient mes compagnons, je devinais que la personne qui m'avait incité à venir ici avait bien pris soin de m'en éloigner le plus possible. J'étais au milieu d’une petite étendue de terre humide entourée d'arbre, dont le seul accès était un petit sentier juste derrière moi. Malgré l'épaisseur de la nuit, j'arrivais fort bien à distinguer ce qu'il y avait tout autour de moi à l'aide de l'éclairage que pouvait me fournir mon bâton. Je n'entendais plus rien d'autre que le bruissement sourd des feuilles, soulevée par une légère brise, je ne voyais nulle trace de celui qui m'avait conduit ici...
« Qu'attendez vous pour vous montrez, Velatis !?
_ Vous avez mis bien du temps à réagir, enir !
             Je me retournais, et vis s'avancer lentement vers moi, marchant de manière nonchalante sur le petit sentier, cet énergumène qui m'avait assigné à ma nouvelle mission sur ordre des Grandes Instances de l'Académie : Velatis Yannoc, le messager de mauvaise augure. Il me semblait que cela faisait une éternité que je n'avais pas vu son visage livide depuis la cité d' Amarath Garas. Il était certains que ma désobéissance envers l'homme le plus hiérarchisé de notre ordre ne passerait pas inaperçu bien longtemps, mais j'avais aussi commis l'erreur de briser le lien mental qui nous unissais tous, et ainsi, Trébonius ne recevant plus de mes nouvelles avait décidé d'envoyer son fameux émissaire.
_ Heureux de vous revoir une fois de plus cher..
_ Au diable ces boniments, Yannoc ! Dis-je sèchement. Pourquoi vous a-t-on fait une nouvelle fois à ma rencontre ? »
          Alors que je le laissais s'approcher de moi, je remarquais que son visage se faisait de plus en plus dur, ce qui d'ordinaire face à un mage de rang supérieur, aurait été un manque total de respect.
« Ne jouer au plus idiot Thurim ! Cela fait plusieurs cycles que vous vous êtes coupé du réseau télépathique, alors que vous avez ordre absolu d'exécuter et de nous informer sur la récente mission à laquelle le vénérable Trébonius vous a assigné ! Nous savons que le jeune Tan-Klaroz est encore en liberté, vous mettriez vous à croire en ces contes pour enfants que les imbéciles appellent "prophéties" ?!
_ Je ne vous permets pas de mettre ainsi en doute la confiance que j'accorde désormais à ce jeune garçon, j'ai vu beaucoup trop de signes au cours de mes récents déplacements pour me permettre encore de penser que cette prophétie n'a rien de réel !
_ Vous rendez vous compte que vous êtes en train de trahir la confiance que le vénérable Trébonius a mit en vous ?! Ce Tan-Klaroz pourrait contribuer de façon considérable aux recherches des civilisations disparues Tout ce que vous aviez à faire, était de l'enlever et de nous contacter ensuite, est-ce trop difficile pour vous ?!
_ L'Académie a bien ,Yannoc. Autrefois, un tel acte aurait été qualifié de criminel et puni par l'Archimage en personne ! Mais à présent, il commanditerait lui même ce genre de chose ? Je ne le crois pas, quelque chose a changé ! Ses pseudo nobles causes n'excusent en rien le fait d'arracher un homme à la liberté !
_ Que sont-ce là toutes ses insinuations, Vessiel ? Dit-il plus calmement
_ Tan-Klaroz ne sera pas simplement utilisé pour les recherches de l'Académie il y a autre chose là dessous dites le moi ! »
           Voyant qu'il commençait à perdre la face devant mes arguments, il sortit de sous sa robe, le petit orbe vert qu'il utilisait pour ses longs déplacements. Il voulait s'enfuir, mais j'eu le temps, grâce à un nuage passant au dessus de nos têtes, de faire tomber un éclair directement sur sa main. Cela ne le blessa pas, mais l'orbe fut détruit. Il saisit alors fermement sont bâton et murmura quelque sortilège, mais le nuage noir me fut à nouveau d'un grand secours.
_ Ectho Damas !
           Il reçut un autre éclair, mais cette fois de plein fouet. J’entendis son bâton tomber. Il était désormais lié par une multitude de chaînes d'éclairs entrelacés. Il tenta de se débattre, mais il fut douloureusement électrocuté.
_ Ne tentez rien Yannoc. Ectho Damas "le cercle de souffrance" vous déchiquettera si vous essayez d'agir contre ma volonté...
            Je répugnais à devoir employer de telles méthodes, mais il n'aurait jamais répondu aux questions que j'avais pour lui si j'avais usé des manières conventionnelles. Je vis soudain, alors qu'il ne bougeais pas, dépasser un symbole familier de sous une partie de sa robe déchirée par les éclairs. Je m'approchais et déchirais complètement le bout de tissu robuste qui couvrait une plaque de métal sur son torse. Sur cette dite plaque était gravées les armoiries de la Légion de la Manticore avec, à côté, un autre symbole qui m'étais totalement inconnu : un demi astre, incrusté d'une tête démoniaque, avec un oeil unique dont le fond était un mélange de jaune, de bleu nuit, et de rouge sang. Mais je me concentrais d'abord mes questions sur le premier.
« Qu'est ce que cela veut dire ?! La Manticore emploie aussi des mages maintenant ? Répondez !
_ En venant ici, haleta-t-il, j'avais déjà pour mission de vous tuer si vous refusiez obstinément de vouloir remplir votre mission ! Nous savions pour votre trahison depuis un bon moment ! 
_ Comment est-ce possible ?
_ Le clairvoyant Trébonius possède de nombreuses ressources dont vous ne pouvez même pas soupçonner l'existence ! Beaucoup des nôtres sont déjà mobilisés pour d'autres affaires, la Manticore est de notre côté, vous et vos amis n'avez aucune chance !
_ Vous l'avez lancée à nos trousses ?
_ Oui. Nous savons depuis peu où se trouve Tan-Klaroz ! Une garnison entière va sûrement les intercepter sous peu ! Je vous le dis, car même si vous pouviez intervenir, vous ne pourrez pas nous empêcher au moins de capturer ce jeune garçon ! »
          Je le fusillais du regard, j'avais envie de le carboniser sur place... mais il avait encore des choses à me dire.
« Et qu'est ce que ce symbole ? Je ne l'ai jamais vu avant !
_ Allez au Diable, Vessiel !
_ Répondez moi ! Ou vous irez au Diable bien avant moi ! »
          Il se mit à rire de façon hystérique, me lança un regard dément, comme s'il était soudainement devenu fou.
« efk... Mohofddur... Horoth... efk... Mohofddur... HOROTH... ELK... MOHOLDUR »

          Je lâchais le col de sa longue robe, que je tenais depuis le début de l'interrogatoire. Rien que l'évocation de ce nom me fit frissonner depuis les tréfonds de mon âme, de quoi pouvait-il bien parler ?
          De toute évidence, il ne pourrait rien m'apprendre de plus. Il était tombé, ses lèvres étaient couvertes de salive, il ne bougeait plus. Etait-ce la seule évocation de ce nom qui venait de le tuer ?
          Je devais à tout prix avertir mes compagnons au plus vite, Tan-Klaroz et ceux qui l'accompagnaient étaient en grand danger. Je pris sur le corps de Yannoc la plaque gravée... Reol Malfet

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