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FOULE

Ecrit le 11 juin 2010 par Kallisto


« Papa, Papa !
La voix stridente d'un petit enfant se fait entendre au milieu d'une foule dense.
- Papa, on va au marchand de fleurs après ? Maman a dit qu'il fallait en acheter pour Mamie Gisèle.
L'homme sourit nerveusement, comme s'il avait oublié ce détail. Il passe maladroitement la main dans sa chevelure brune :
- Tu fais bien de me le rappeler ! C'est vrai... ma mère va bientôt fêter son anniversaire.
- Elle va avoir quel âge ?
Le père rit d'une voix profonde, les yeux dans le vague.
- Je vais t'apprendre quelque chose, mon petit. Il ne faut jamais demander son âge à une femme, jamais ! Elles n'aiment pas ça. Alors, ne le fais pas avec Mamie, d'accord ?
- Pourquoi, lui répond une voix intriguée.
- Je ne sais pas vraiment... elles n'aiment peut-être pas savoir qu'elles vieillissent. C'est difficile parfois de se dire qu'on n'est plus jeune, qu'on est plus beau.
- Pourtant, Mamie Gisèle, elle est belle. Et pis t'as vu ses yeux ? Ils sont tout bleu. Ça fait comme la mer.
- C'est vrai, ma mère est toujours aussi belle, sourit le père. Tu peux te vanter d'avoir la plus jolie Mamie du monde, hein ?
L'enfant bat des mains en riant, ses boucles claires rebondissant doucement sur ses joues rondes. Tout à coup, un passant le percute, et le laisse tomber à terre. Le petit garçon reste abasourdi, tandis que son père tente de le relever, les badauds devenant de plus en plus nombreux.
- Ne bouge pas Xanio, crie le père, presque affolé. Mais enfin, laissez-moi passer ! Vous voyez bien que j'aimerais retrouver mon fils !
- Eh, lui répond une voix méprisante, nous aussi on veut pouvoir bouger. »
Le tumulte semble monter en crescendo. Cette fois, l'homme ne voit plus son petit garçon, les gens autour de lui semblant s'amasser sur son passage, comme pour former une muraille humaine, l'empêchant de passer.
Pas le temps d'hurler le prénom du fils, le son reste coincé dans la gorge, un coude indélicat et inconnu ayant frappé le torse.
La peur, cette immense vague que rien n'arrête engloutit le père, qui se débat de plus belle dans la multitude. Il ne se contrôle plus, ses bras battant l'air et la masse comme ceux d'un pantin désarticulé, dont les fils se seraient emmêlés.
Une seule et unique pensée, fugace et pourtant obsédante commande au corps tout entier.
« Calme-toi mon vieux, calme-toi, tente de se rassurer l'homme. Ça va s'arranger.
Les intonations agressives se mêlent au souffle haché du père, les yeux rivés à hauteur d'enfant, observant et aveuglés à la fois.
- Ton fils est perdu dans la foule, il t'attend.
Contrastant avec la chaleur humaine alentour, un frisson glacé parcourt l'échine du père. Ses muscles se contractent, comme pétrifiés.
-Arrête d'imaginer le pire, que pourrait-il bien se passer ? »
La masse de passants bat sur le rythme d'un cœur, étouffant puis relâchant l'homme dans un cycle infernal. Ce n'est plus une somme, c'est un tout.
Et comme une vague se retirant après la tempête, une minuscule main émerge entre deux formes sombres.
« Xanio, hurle le père, à la fois rassuré et angoissé. Je suis là !
Un petit gémissement lui répond, puis les grands bras de l'homme saisissent l'enfant et le collent contre lui. Etrangement, aucune larme, aucun signe de faiblesse de la part du petit garçon. Seul un sourire béat arbore son visage.
- Ça va ? Tu n'as rien ? Je me suis vraiment inquiété pendant quelques secondes !
- Nan, Papa, j'ai rien, chuchote le garçon, les yeux brillants. Une fille m'a rassurée. Regarde, elle est... »
L'enfant se retourne et émet un hoquet d'étonnement.
Le père écarquille les yeux, son corps se crispant sur le coup. Au milieu de la rue, presque invisible, une petite silhouette pâle le fixe. Elle a de longs cheveux blancs, aux étranges reflets roses. Ses yeux aussi ne paraissent pas ordinaires. Un iris mauve dévore le peu de blanc encore visible. L'homme se risque à lever un bras dans sa direction. L'inconnue lui sourit, avant d'être happée par la foule, comme l'enfant l'instant d'avant.
« Qu'est-ce qu'il y a, Papa ? T'as peur ? T'es tout bizarre...
Il baisse les yeux vers son fils et lui prend les mains, un triste sourire aux lèvres.
- Non, je n'ai pas peur. J'ai vu un vieux souvenir... c'est tout. »
 
 



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