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Lune de Sang,
Ecrit le 27 avril 2010, par ChaoticPesme





Je me réveillais, tout était vide autour de moi, la télévision était restée allumée depuis la veille au soir... Peut être restait-il une ou deux bouteilles sur le canapé… Ça devenait une habitude, mais je m’y faisais. Je me levais péniblement de mon lit, le cerveau encore embrumé par les vapeurs d’alcool et me dirigeais nonchalamment vers la cuisine pour y prendre ce qui ressemblerait à un petit déjeuner. Je n’avais jamais faim, mais je me forçais toujours un peu le matin. Je sentis sous mon pied un objet froid : Une seringue vide. M'en étais-je servi hier ? Probablement.
Au dehors, tout était calme. Même pas le son d’une voiture qui passe ne me parvenait, au point j’avais encore l’impression de dormir. Il fallait croire que nous étions samedi... Je détestais les débuts de week-end, je savais que j’allais une fois encore passer la journée à m’ennuyer devant la télévision. Cette télévision, que j’avais laissée allumée depuis la veille… J’avais du être trop ivre ou je ne sais quoi pour penser à l’éteindre en allant me coucher.
Après avoir un peu bu de ce liquide noir sans goût qui se trouvait dans la cafetière, je reposais ma tasse en évitant de justesse de m’éclabousser et me dirigeais vers le canapé. Je cherchais, les yeux presque fermés, la télécommande pour éteindre l’écran. J’appuyais sur le bouton, mais rien ne se passa. Je devais être dans une mauvaise position. Cependant, j’avais beau essayer d’appuyer sur tous les boutons, il ne se passait toujours rien, de la neige, de la neige, rien que de la neige sur cet écran de malheur… Tant pis, je décidais de m’en occuper plus tard.
Alors que je passais devant la table où mon petit déjeuner attendait toujours de pied ferme que je le mange, j’observais par la fenêtre le dehors. Il faisait nuit noire… Je regardai négligemment l’heure à ma montre, elle affichait… 5h30. Si tôt ? Je ne m’en étais même pas rendu compte, mais même dans l’état où j’étais, je m’étais réveillé bien plus tôt que certaines autres fois. Alors que je me demandais s’il n’était pas préférable que je me recouche, le bruit que faisait la neige de la télévision me revint soudain aux oreilles… Quelle plaie, ce bruit devenait vraiment insupportable… Puisque aucun bouton de la télécommande ne marchait, j'allais essayer d'appuyer sur les boutons du poste avant de retourner me coucher.
Mais… Étrange, même les boutons du poste ne semblaient plus fonctionner. Tant pis, même si c’était mauvais pour l’appareil, je décidais de débrancher directement la prise.
La télévision n’était plus branchée, pourtant, elle fonctionnait toujours… Mais ce n’était plus de la neige qu’il y avait à l’écran. Elle changeait toutes les secondes, j’en avais mal aux yeux mais je ne pouvais m’empêcher de fixer le poste… Ca oscillait, ça bougeait dans tout les sens, ça… Ca prenait forme… J’ignorais pourquoi, mais observer cet écran me soulevait le cœur… J’étais au bord de vomir quand je crus apercevoir au travers de mes yeux embrumés une forme humaine se dessiner à l’image. Oui, c’était bien ça, un homme au visage pâle qui regardait droit devant, je voyais ses lèvres bouger, mais à part la neige, je n’entendais rien d’autre, puis… Noir. L’écran s’était éteint tout seul.
J’étais soulagé que ça se soit arrêté. Je ne voulais pas me poser de question, je devinais que ce qui m’avait retourné l’estomac était sans doute un reste de ces deux bouteilles de rhum vides qui restaient sur le sofa et sans doute autre chose… Je me traînais dès lors jusqu’à ma chambre et m’apprêtais à en fermer la porte. C’est alors que j’entendis une sorte de grognement, une sorte de plainte, longue. Ni moi, ni mes voisins n’avions de chien… Le bruit recommençait, il semblait venir de ma porte d’entrée… Il continuait, encore et encore… C’était encore plus insupportable que le bruit de la télé et en plus c’était un obstacle de plus entre mon lit et moi… Vu l’heure qu’il était, j’étais probablement le seul à être éveillé dans cet immeuble. Si c’était un chien, j’allais le faire dégager moi-même. J’allais vers la porte, malgré l’impression que j’avais qu’elle s’éloignait un peu plus à chacun de mes pas, écoutant le bruit saccadé qui en provenait. Sans que je sache encore pourquoi, ma main fut victime d’un frisson lorsqu’elle se posa sur la poignée, comme si elle appréhendait d’instinct ce qu’il se trouvait derrière la porte. Je me calmais, et tournais la clé dans la serrure. La porte s’ouvrit en grinçant légèrement, sur mon voisin de palier, la mine déconfite, la bouche grande ouverte. Ses yeux semblaient me regarder, et regarder ailleurs en même temps. Je ne le connaissais pas bien mais je ne crois pas qu'il est jamais eu le moindre strabisme… Mais au lieu de me parler, il continuait à me dévisager de haut en bas, comme si j’étais un monstre. Sa peau était si blanche, on aurait dit qu’il n’était pas sorti de chez lui depuis des semaines. Un certain malaise commençait à naître en moi, je pris les devant.
_ B… Bonjour, risquais-je
Je repensai tout à coup aux bruits étranges qui venaient de ma porte avant que je ne l’ouvre. Il pensait peut être que cela venait de chez moi.
Il continuait de me fixer d’un seul œil, le second exécutait des mouvements que je n’aurais pas cru possible chez un être humain… Il restait planté au pas de ma porte, les bras ballants et le dos courbé, sans rien dire.
« Écoutez, je ne sais pas ce qui vous amène… » commençais-je
_ La lune…
Je fis un pas en arrière, sa voix était exagérément enrouée, très vielle, comme s’il cherchait à me faire peur.
_ Comment ?
_ L'Astre Rouge… Est très bas…
Je reculais. Plus il parlait, plus je reculais. Je poussai un petit cri lorsque je finis par buter contre quelque chose. C’était le canapé du salon. Le voisin franchit enfin le palier de ma porte, il se dirigea vers moi d’un pas saccadé, manquant de trébucher à chaque seconde… Il avait l’air d’une machine, une machine défectueuse qui pouvait se démanteler d’un instant à l’autre… Mais il ne s’arrêtait pas.
_ Dans le ciel… Il coule vers la terre… Elle sera bientôt là…
_ Que… Qu’est ce que… Qu’est ce que vous racontez ?
Ses paroles ne voulaient rien dire… Il continuait d’avancer sans prêter attention à ce que je disais, il était bientôt contre moi. Sans avoir la volonté de faire quoi que se soit, je sentis ses mains se poser sur mes épaules, elles étaient glaciales. Je vis alors son visage au plus près, il n’avait rien à voir avec celui que je croisais de temps en temps dans l’escalier : Livide, ridé au point qu’il paraissait avoir plus de cent ans, la bouche édentée, le nez comme écrasé à l’intérieur du crâne… Une horreur vivante.
_ Descendre… Il en faut encore... ah…
Ses mains toujours sur mes épaules, il balança sa tête en arrière. Craignant ce qu’il allait faire, je bondis en arrière alors que j’étais collé au canapé. Je fis une roulade arrière sur le meuble à tombai à terre en l'entraînant avec moi. La force qu'il semblait exercer sur moi le projetant violemment contre la meuble où était posée la télévision. Il tomba lui aussi, mais alors qu’il tentait de se relever, le gros poste tomba de son socle et s’écrasa en plein sur sa tête. Je me relevai nerveusement, les mains tremblantes, pour constater qu’il ne bougeait plus. Comment allait-il ? Qu’est ce qu’il voulait dire ? Il devait être fou. Ma première pensée fut de le laisser là où il était, mais si je ne voulais pas avoir d’ennuis… C’était ça ! L’asile psychiatrique ! Il fallait que j’appelle un asile psychiatrique.
Je trouvais rapidement un annuaire dans mes meubles, mais alors que je le feuilletais du bout des doigts, une chose me revint à l’esprit : Cette forme humaine que j’avais cru entrevoir sur la télévision, et si c’était lui ?… Cette image dans ma tête m’obsédait, au point que je ne faisais quasiment pas attention à ce que je cherchais dans l’annuaire. Je me forçai à recouvrer mes esprits et je pus enfin trouver le numéro d’un hôpital psychiatrique. Lorsque je décrochai le téléphone, je crus d’abord que j’entendais mal… J’avais toujours un peu mal à la tête, mais lorsque je réussis à me concentrer, je m’aperçus que j’avais tort : Il n’y avait aucune tonalité, pourtant, le téléphone était bien branché…
Sur le moment, je ne trouvai rien d’autre à faire que m’asseoir. La ligne téléphonique était coupée, et j’avais à côté de moi un homme que j’avais blessé. Il m’avait fait peur, mais il ne m’avait encore rien fait… Qu’est ce que je devais faire ? Au bout d’une minute, je me relevais et constatais que ma porte d’entrée était toujours ouverte. Lorsque je posais ma main sur la poignée, je me surpris à regarder sur le palier. Peut être bien… Peut être bien que sur le coup j’avais eu peur que quelqu’un d’autre ait entendu le raffut et ne vienne voir… Ou alors j’avais peur que ce fou ne soit pas seul.
Je ne vis rien. Je claquai la porte et la fermai à clef. L’homme était toujours étendu au sol, la tête coincée sous la télé. Je ne devais pas attendre qu’il se réveille, si le téléphone ne marchait pas, il fallait que je le neutralise avant qu’il lui vienne l’idée de se réveiller et que je contacte quelqu’un d’autre qui pourrait se charger de lui. Mais la première chose qu’il fallait que je fasse, c’était de dégager le poste… Trouver quelque chose pour l’immobiliser… Mais quoi ? Je n’avais que de la petite ficelle à disposition, si jamais il reprenait connaissance et que je n’avais rien trouvé, il risquait d’être plus agressif… Je me rendis compte que mon front perlait de sueur lorsque je posais ma main dessus pour essayer de réfléchir. J’avais déjà vu des gens qui paraissaient fous, des ivrognes qui m’adressaient la parole sans raison dans le métro ou dans la rue. Cependant jamais aucun d’entre eux n’avait été jusqu’à me poursuivre jusque chez moi et essayé de m’agresser. Et pourquoi moi ? Ma journée n’était même pas commencée que j’étais déjà dans un bordel noir, pourquoi il n’avait pas…Il n’avait pas…
Non. La première chose à faire, c’était de me calmer… Me calmer, et raisonner froidement. J'avais encore plus mal au crâne qu'en me réveillant...
A défaut de corde, j’avais toujours des rallonges électriques. Il allait falloir que je fasse avec. Je me précipitais vers mes placards et après avoir éjecté diverses affaires, je tombais sur une longue rallonge blanche. Je jetais un regard au corps toujours immobile, il n’était pas très gros, je devrais pouvoir le ligoter avec ça en serrant bien fort. Ma corde de fortune à la main, je m’approchais de LUI, doucement, très doucement. J’avais peur qu’il se réveille d’un coup et me saute à la gorge, même si c’était impossible après le choc avec la télévision. Je me mis à genoux pour le soulever et le mettre de côté. Je m’aperçus alors que l’écran était cassé. D’instinct, mes yeux tentèrent d’éviter la figure de ce pauvre gars qui devait être à présent encore plus repoussante qu’avant… Je n’eus vraiment pas le courage de le regarder, je le retournais simplement sur le ventre. Le contact avec sa peau était toujours aussi froid, je pensais pendant un instant avec terreur qu’il pouvait être mort, mais son corps était régulièrement victime de spasmes qui faisait bondir mon cœur à chaque fois. Je devais m'accrocher pour ne pas m'arrêter au fur et à mesure que je tentais de le ligoter.
Après avoir serré le dernier lien, je me laissai tomber en arrière et pousser un grand soupir de soulagement. Mon regard se posa à nouveau sur lui. A présent, il était plus ou moins inoffensif, j’imaginais quelle pouvait être sa réaction quand il se réveillerait… Je me surpris à compatir de son état, après tout, ce ne « pouvait pas » peut être pas de sa faute… La pitié me disait qu’il fallait que je l’installe sur le divan plutôt que de le laisser par terre. L’idée de devoir encore une fois toucher sa peau glaciale refroidis un peu mes élans, et pourtant… Pourtant je me devais au moins de faire ça. Je m’avançais vers lui sur la pointe des pieds, et glissait délicatement mes bras au dessous de lui pour le prendre… J’avais beau évité de toucher sa peau, mes bras tremblaient comme des feuilles mortes. J’espérais de tout mon cœur qu’il ne se réveille pas… Heureusement, ce ne fut pas le cas. Je le glissais sur le canapé et écartait la bouteille vide qui occupait la place. Je me détournais un instant de lui pour aller jeter la bouteille, lorsque j’entendis un tintement juste derrière moi.
J’hésitais un instant à me retourner, puis, prenant mon courage à deux main, je fis volte face mais constatais que l’homme était toujours inconscient. Le tintement provenait d’une petite chose qui était tombée au sol. Il faisait toujours aussi sombre dans l’appartement, les lumières provenant du dehors ne m’aidaient pas à voir de quoi il s’agissait. Je n’osais pas m’en approcher… Et si c’était une ruse pour que je me rapproche alors qu’IL était réveillé ? Cependant, ne voyant pas de changement dans son attitude, j’avançais doucement le pied vers la petite chose et dès que je la sentis, je donnais un brusque coup de pied en arrière… Le corps n’avait toujours pas bougé, c’était sans doute tombé par inadvertance. Fausse alerte...
Je crus qu’en fait, l’objet que je venais de ramasser n’était qu’une babiole que j’avais oublié d’enlever du canapé, mais je ne l’avais jamais vu : Cela ressemblait à une clé – sans doute tombée de sa poche - une clé banale… Banale, si ce n’était que la poignée avait la forme d’un crâne humain. J’avais beau me dire qu’il avait simplement eu assez de mauvais goût pour se faire faire une clé de cette forme, autre chose me tracassait dans cet objet, l’embout. Ce n’était qu’un rectangle, simple, sans forme particulière. C’était étrange, même les clés les plus simples aujourd’hui avaient des formes complexes, sinon…
J’entendis soudain des frottements qui me distrayèrent à l’examen de l’objet : L’homme était réveillé. Je repris mon calme quand je constatais qu’il ne pouvait pas bouger et encore moins défaire ses liens. Sans me soucier de rien, je rangeais sa clé dans ma poche.
« C’est pour votre bien mon vieux », pensais-je.
Une chose me frappa à ce moment : J’avais essayé d’appeler l’extérieur sur mon téléphone fixe, mais j’avais complètement oublié mon portable. Je me précipitais vers ma chambre où je pensais l'avoir rangé et revins aussi vite que possible pour ne pas quitter trop longtemps des yeux le malade qui se débattais toujours sur mon canapé. J’entrepris de chercher à nouveau le numéro de l’asile sur l’annuaire que j’avais refermé, mais je me rendis compte que ce n’était peut être pas la meilleure chose à faire… J’entendais l’homme pousser des sons rauques qui ressemblaient à des grognements. Je me souvenais que j’avais vu, au moment où son visage était au plus près du mien, comme de la salive coulant de ses lèvres… C’était clair, il avait tous les symptômes d’un drogué. J'en avais déjà fait l'expérience moi même... 18, l’hôpital, c’était ça qu’il fallait faire. J’approchais les doigt des touches, mais ils s’arrêtèrent net lorsque mes yeux virent s’afficher sur le petit écran une information inquiétant : « Aucun réseau détecté ».
Impossible, j’avais utilisé des centaines de fois ce téléphone dans cet appartement, et il avait toujours marché… Impossible, surtout pas maintenant… Je vis devant mes yeux une goutte de sueur de mon front atterrir sur le clavier de mon téléphone, comme pour souligner mon échec. Je n’avais pensé à cette solution qu’en dernier recours dans un coin de mon esprit, mais voyant que tous les autres solutions s’acharnaient à échouer, je n’avais plus que cela à faire : Il fallait que je réveille mes voisins, je ne pouvais plus compter sur moi tout seul. Je jetais un dernier coup d’œil au drogué, il se débattais encore, mes les liens que j’avais fait ne semblaient pas se défaire. Je courus vers ma porte et la rouvris à toute vitesse. J’allais directement vers la porte de mon voisin de droite et tambourinais à sa porte des deux mains. Il était tout juste 6h, il devait encore dormir… C’était ce que je me disais en voyant que seul le silence me répondait. Dans la rage de l’attente, je frappais à nouveau à en réveiller les étages du dessus et de dessous. Des doutes commencèrent à assaillir mes pensées quand je ne vis venir toujours personne au bout de cinq-six minutes… J’en avais presque oublié le principal concerné, resté sur mon divan.
Je pensais ne pas avoir à m’inquiéter de la solidité de ses liens mais que lorsque je passais le palier de ma porte, je le vis, debout, titubant, le teint aussi livide et aussi repoussant qu’avant. J’ignorais comment il avait réussi à se libérer, et je n’aurais pas pu le savoir, car lorsque je débarquais brusquement, il était déjà à moins de deux mètres de moi, m’interdisant de rentrer dans l’appartement… Mais j’avais beau savoir que cette fois j’aurais pu le maîtriser, le prendre de vitesse lui qui parait si lent… Cette allure, ces soupirs rauques pareils à des lamentations, ses yeux globuleux et maintenant ces dizaines de petits bouts de verres plantés dans la peau de son visage que je refusais de voir… Il paralysait ma volonté, détruisant ma moindre once de courage. Il me fait reculer, à nouveau… Il allait me piéger, c’était certain, il allait me piéger…
Au bout d'une minute, je butais soudain contre un obstacle qui me fit tomber en arrière. Sans m’en rendre compte, il m’avait repoussé jusqu’à l’appartement de mon voisin de gauche… Dont la porte était ouverte... Ouverte...
Cet homme au visage déformé se pencha alors lentement vers moi, tendant ses deux mains jusqu’à mon visage… Que voulait-il, à la fin ? M’étrangler, me tuer pour je ne sais quelle raison… Il n’en était pas question, il ne m’aurait pas si facilement, je n’allais pas me laisser aveugler par ce vulgaire drogué au regard fou… Je rassemblais en moi tout le courage qu’il me restait et pliait ma jambe autant qu’il m’était possible, puis d’un coup sec, j’envoyais mon genou droit dans le menton de ce fou. Je le vis reculer brutalement et chanceler pendant quelques instants… Ce court laps de temps me permit tout juste de me relever et de fermer la porte de l’appartement. Mais un autre problème immédiat se posait : La clé de la porte manquait sur la serrure, je ne pouvais pas la fermer, à moins que… J’entendis alors le drogué frapper contre la porte à grands coups de poings. Je tentais de garder la fermée, mais plus il insistait, plus je sentais mes pieds glisser. Je devais essayer, c’était très risqué, mais je n’avais pas le choix. Je rouvris le battant d’un coup et frappai en plein visage le fou furieux. Je claquais tout de suite la porte en me retenant de pousser un cri de douleur. Je sortis nerveusement la clé de ma poche avec ma main écorchée par les bouts de verre et l’introduisit dans la serrure en fermant les yeux. Il y eu un cliquetis qui fit soudain retomber ma tension intérieure : La porte était fermée. Il revint ensuite à la charge, mais là, il eut beau continuer de frapper de ton son saoul, la solide porte ne bronchait pas. Je fronçais les sourcils et regardais dans sa direction, comme si j’espérais qu’il me voit.
« N’y compte pas... »
Alors c’était bien lui, c’était bien mon voisin de gauche auquel je venais juste d’échapper, pensais-je encore juste derrière la porte fermée, la main sur la clé dans la serrure. J’étais aussi sûr que c’était lui que j’avais vu sur ma télévision pendant quelques secondes. Mais comment, comment cela se pouvait il ? La télévision pourtant branchée ne fonctionnait pas… Et voilà que je me mettais à y voir la figure blafarde de mon voisin qui n’était plus du tout lui-même… Comment avait-il pu… Je commençais à ressentir alors des picotements venir de ma main. En le frappant, je n’avais pas pu éviter les éclats de verre plantés. Il fallait au moins que je désinfecte. Je repris la clé dans la serrure et m’éloignai de la seule barrière entre moi et ce... Je ne sais plus quoi qui continuait à tambouriner lentement sur la porte. L’appartement était grand, plus grand que le mien, mais je réussis à trouver à rapidement la salle de bain ainsi que de l’alcool et quelques pansement dans une armoire à pharmacie. Ce fut quand j’eus fini de panser ma main que je me rendis compte de ce que j’étais en train de faire : Je me servais dans cette salle de bain comme chez moi, comme un vulgaire voleur qui se serait fait mal en cassant une vitre… Le fait que le propriétaire de cet appartement ne soit plus en possession de ses moyens n’excusait pas ce que je faisais… Cependant, tout me semblait différent depuis que j’avais essayé d’appeler à l’aide pour maîtriser cet homme : L’électricité, la ligne téléphonique, le portable, puis les voisins qui n'avaient pas réagi… Cette dernière chose ne m’avait pas tellement parue étrange sur le coup – n’importe qui aurait mit du temps à m’ouvrir à cette heure – mais j’avais pourtant fait assez de bruit pour réveiller tout l’immeuble. Pourtant, j’avais encore croisé la veille des gens qui allaient et venaient, que ce soit dans l’ascenseur ou l’escalier… Enfin, je croyais bien. Ce que j'avais fait la veille au soir restait un mystère...
Mais pourquoi personne ne réagissait ? En y réfléchissant, cela m’amena à penser que mon propre appartement était resté ouvert, mais c’était bien le cadet de mes soucis à présent…
J’étais seul, dans cet appartement qui ne m’appartenait pas, avec un homme quasiment lobotomisé qui se cessait de frapper pour entrer. Cet homme, je ne le connaissais que parce que je le croisais de temps en temps dans l’immeuble, je ne savais rien de lui, et j’étais maintenant enfermé chez lui. Je pensais que ce que j’avais de mieux à faire pour le moment, c’était au moins d’essayer de découvrir ce qui l’avait mit dans cet état. Ça m’avait paru être un abus d’une quelconque drogue… Si c’était le cas, je devrais bien trouver une chose qui me permette de l’affirmer. J’entrepris de fouiller un peu plus avant le premier endroit que j’avais à portée : L’armoire à pharmacie et la salle de bain. Je ne trouvais rien d’autre que des médicaments banals. Je me dirigeais alors vers le salon. Malgré l’obscurité présente, je pus voir, éclairé par le dehors, une série de tableaux sur les murs… Ils étaient vraiment très laids, comme la décoration en général, tout compte fait. Masques hideux, dessins représentant des monstruosités imaginaires, cet endroit était un temple du mauvais goût. Je commençais à croire que même sans drogue, cet homme était déjà un peu cinglé au départ... Après quelques hésitations, je fouillais dans les meubles pour essayer d’y trouver quelque chose de valable, mais mes recherches restèrent infructueuses. Mon regard se porta alors vers une autre pièce dont la porte était ouverte, je sentais une odeur bizarre qui en provenait. Ce n’était pas si désagréable, pourtant…
Lorsque je pénétrais dans la pièce, je m’aperçus que c’était une chambre. Elle comportait un lit défait et un assez grand bureau. En suivant les émanations, je sentis qu’elles venaient du bureau… On dirait qu’on y avait posé du matériel de chimie, cependant, la plupart des instruments étaient cassés… L’odeur venait d’une fiole renversée ; j’allais y approcher ma main, mais je me ravisai juste avant de toucher le liquide. Et si c’était ça qui avait provoqué ce changement chez mon voisin ? Ça voulait dire que… Que j’étais peut être déjà « contaminé », rien qu’en respirant cette odeur… Non, non, ça ne devait pas être ça. J’avais sentis auparavant quelque chose de dérangeant dans cette odeur, mais ça n’avait pas l’air dangereux pour autant. A ce moment, j’eus un sursaut, non pas à cause du bruit, mais à cause du silence. Arrivé dans cette chambre, j’entendais encore l’homme taper contre la porte, mais là, plus rien. Ce silence m’angoissait plus que tout le bruit qu’il avait pu faire jusqu’à maintenant… Contenant ma peur, je me retournais d’un bond, je ne vis personne. Cela ne me rassurait pas pour autant… Je n’osais pas aller voir dans le couloir d’entrée, alors, faute de mieux, je m’approchais de la porte de la chambre et la fermait. Comme un réflexe, je sortis la clé au crâne de ma poche et l’introduisit dans la serrure… Cette porte fut aussi verrouillée, mais sur le moment, je ne m’en étonnai pas. Je me calmais un peu et allais revoir le contenu renversé de cette fiole. Je réfléchis un instant, je remarquais alors qu’une partie de ce qui composait cette odeur ne m’était pas inconnue, je rapprochais mon nez pour en savoir plus. Cela sentait comme de la rouille, mais ça ne pouvait pas être du fer liquide, pas dans une fiole de verre… J’ai déjà senti ce genre de chose, des fois, quand je me blessais… Quand je me blessais…
J’eus un sursaut de conscience en voyant ma main bandée, ça ne pouvait pas… Je soulevai nerveusement un de mes pansements et mis le nez directement sur une plaie qui n’était pas encore cicatrisée, puis comparait avec ce qu’il y avait sur le bureau. Je ne me trompais pas, cette odeur… C’était du sang. Il était mélangé à autre chose, mais c’était bien du sang... Du sang humain ? Quel genre de malade pouvait être cet homme en réalité ? Ce résultat, c’était une sorte d’expérience qui avait mal tourné ou… Mais alors que mon regard vagabondait au hasard sur le bureau, une autre chose me frappa : Parmi les papiers qui traînaient, je décelais une sorte de marque rouge… De la même couleur que le sang. En écartant les papiers, je vis qu’il s’agit d’une sorte de signe, dessiné à même le bureau. Il était presque entièrement effacé, mais de ce qui restait, je devinais au moins qu’il y avait un cercle, peut être un signe cabalistique, en fait…
Cabalistique ? Mais… Alors cette allure, cette mine déconfite, cette lenteur… Il se serait drogué pour réaliser un genre de rituel ? Non, je devais m’en approcher, mais ça ne devait pas être ça… Mais pourquoi, pourquoi, pour…
J’entendis soudain derrière moi un craquement, suivi d’un long cri rauque. En me retournant j’eus tout juste le temps de voir l’homme se diriger vers moi, les bras en avant. Il me saisit par les épaules à une vitesse que je n’aurais pas cru possible de lui et me plaqua contre le bureau. Ses mains glaciales remontèrent jusqu’à mon cou, puis elles le saisirent et commencèrent à le serrer… J’avais toujours mes mains libres, mais je ne pouvais plus rien leur ordonner, trop préoccupé à essayer de respirer… Ma vue se troublait sur son regard vide et l’odeur de son haleine fétide, la seule chose que je pus faire, c’est tourner ma tête pour espérer voir quelque chose qui pourrait enlever ces véritables tenailles qu’étaient les mains de ce malade… Un… Un gros livre sur le bureau, il avait l’air très lourd… Tant pis, j’abandonnai le contrôle du reste de mon corps pour concentrer mes forces dans mon bras droit… Je saisis l’objet, il était aussi lourd que je le pensais… Je n’avais plus d’air, je n’arrivais pas à le soulever, je balançai alors mon bras d’avant en arrière, tentant de garder à tout pris l’objet dans les mains… Le coup atteint l’homme sur le côté du visage. Il fit quasiment un tour sur lui-même avant de s’écrouler mollement sur le lit défait. J’essayais de reprendre ma respiration… J’avais cru que ce malade allait me tuer, par réflexe, je portais ma main à mon cou, je sentais deux grandes marques… Sur le moment, j’espérais que cette ordure soit morte. Je reculai pour m’appuyer sur le mur derrière moi, lorsque je poussais un cri en sentant un craquement sous mon pied. Je regardai un instant et constatai que je marchais sur un instrument brisé. Lorsque je relevais les yeux, la seconde suivante, ce fut pour voir que l’homme s’était relevé brusquement et avançait à nouveau ses mains vers ma gorge. Cette fois, je lui assenais un coup magistral sur le côté de son crâne. Il tituba un instant, puis tomba à la renverse sur le sol à côté du bureau. Cependant, il fait un bruit étrange à son contact, comme un tissu qui se déchire… Sans réaliser ce que je fis, je me penchai immédiatement vers le corps et le retournai… Non… Je ne pouvais pas avoir fait ça… Je venais…
Ce que j’aurais souhaité un peu plus tôt s’était à présent réalisé, il était mort… Un instrument à moitié cassé dépassait de son torse…
Mort, dans son propre appartement… Qui allait croire que je ne n’étais pas responsable à présent ? Si je prévenais la police à présent, je n’avais plus aucune chance. Mais pourquoi avait-il fallu que ce malade s’en prenne à moi ? S’il avait été agresser mon voisin de droite, je n’en serais pas là à essayer de savoir quoi faire de ce cadavre à mes pieds… Jamais, jamais ça n’aurait du arriver, j’aurais du descendre et aller voir cette saleté de police… Il fallait…
Il fallait que je m’en débarrasse, faire comme si rien ne c’était passé. Il fallait que je le cache quelque part pour que personne ne le découvre, et je passerais un week-end normal, pourri, sans voisin, sans trucs bizarres, sans cadavre...
Délicatement, je saisis les chevilles du corps pour le traîner, puis je poussais un cri d’horreur. Je me retrouvais sur le derrière, j’avais failli avoir une attaque.
Le corps, le corps avait bougé. Le sang coulait comme une rivière, et pourtant le corps avait bougé… Au moment où je me relevais moi-même en croyant avoir rêvé, je vis le cadavre se redresser également puis se retourner lentement vers moi. Ses yeux avaient soudainement noircis, sa démarche était plus raide et l'instrument… Toujours plantée dans son thorax…
C'était impossible, je devais voir des choses qui n’existaient pas... Ce que j’avais en face de moi ne pouvait pas exister. Aucune drogue au monde n’était capable de ressusciter un mort, alors, qu’est que je voyais en ce moment s’avancer vers moi ? Me donner des gifles ne servirait à rien, je ne pouvais pas me réveiller de la réalité… Je tournais la tête vers la porte de la chambre défoncée. L’instant d’après, le souffle oppressé par la présence de cette chose immortelle, je fis la seule chose que me commanda mon instinct à cet instant : Je courus dans le salon, traversais un couloir d’entrée et sortis de l’appartement.
« A l’aide !! Réveillez vous ! A l’aide ! Mais réveillez vous bordel ! »
Je criai sur le palier pour attirer l’attention. Sans attendre de réponse, je descendis quatre à quatre les escaliers et continuais à hurler.
« A l’aide ! Quelqu’un !! »
Je remontai à mon pallier et tambourinai des mains et des pieds à la porte de mon voisin de droite.
« Vous allez venir m’aider !? Réveillez-vous et levez-vous, merde !! »
Rien. Je sautai dans les escaliers et descendis à l’étage du dessous. Je continuai mes appels jusqu’à m’en égosiller, je frappai à chaque porte avec la même hargne, essayant même de les forcer. N’obtenant aucune réaction, je grimpai à nouveau jusqu’à mon étage, lorsque je trébuchai dans les escaliers. A quatre pattes, je tentai toujours d’appeler… Mais rien, toujours rien, comme si j’étais emprisonné dans un mauvais rêve, seul avec cette chose. En tentant de reprendre mon souffle, je jetais un regard sur ma droite : Je voyais le mort qui se tenait dans le couloir de son appartement, immobile. Immobile, on aurait dit qu’il m’attendait.
Je me tapai la tête contre une marche de l’escalier… J’avais forcement tort, j’allais me réveiller et avoir une vraie gueule de bois comme d'habitude... Une gueule de bois dans un immeuble où tous les locataires étaient chez eux, vivants… Mais non, tout était vrai ici, mon mal de tête, ce mort-vivant, cet immeuble vide et le fait que plus rien ne marchait…
Qu’est ce que j’allais bien pouvoir faire ? Personne n’allait répondre à un appel à l’aide, et si j’allais trouver la police pour leur dire qu’il y avait un mort-vivant qui m’avait agressé, on allait m’envoyer à l’asile avant de prendre le temps de m’écouter plus. J’étais tout seul, face à cette chose.
J’étais seul, alors il allait bien falloir que je me débrouille seul, que je règle cette affaire moi-même sans l’aide de personne, il fallait que j’arrête de fuir le danger… Je me relevai. Je remontai les escaliers et fis face au monstre décharné à quelques dix mètres de moi. Il était toujours dans le couloir de l’appartement, devant la porte en chêne qu’il avait lui-même fracassée. Mon regard croisa au bout de l’appartement, la baie vitrée du balcon, juste derrière lui. Une idée ne mit pas longtemps à germer dans ma tête. Au même instant, je pensai aux conséquences que cela pourrait avoir ensuite, mais pour le moment je me devais de faire quelque chose pour me débarrasser de ce monstre. Sauver ma peau avant le reste… Je me précipitai sur ma cible l’épaule droite en avant et la percutai de plein fouet, puis je forçai sur mes pieds sans m’arrêter, manquant de tomber à chaque seconde. Les yeux fermés, j’entendis soudain un bruit de verre brisé ; mes paupières s’ouvrirent une seconde pour apercevoir le sol bétonné du balcon puis l’instant d’après, le corps bascula par dessus la rambarde ; si rapidement que je faillis faire de même. Je me redressai aussi vite que je pus, et observais par-dessus la rambarde le cadavre ambulant plonger dans le vide… Comme pris d’une satisfaction morbide d’avoir réussi mon coup. Cette chose était-elle vraiment morte cette fois, je n’en avais pas la moindre idée, mais au moins, j’en étais débarrassé pour un long moment. Je marchai sur les débris de verre en grimaçant – je n'avais plus rien à faire de l'état de mes pieds nus - et me dirigeais vers la chambre. Je m’assis lourdement sur le lit avant de tomber en arrière, respirant à grandes bouffées l’air ambiant… Mort vivant… Des tas d’images se bousculaient dans ma tête à présent que j’avais enfin le loisir de penser. Des scènes entières de films d’horreur plus ou moins mauvais défilaient devant mes yeux sur un fond de plafond gris. Meurtres, éviscérations, cannibalisme… Je me relevais soudain, de peur de me croire moi-même dans un de ces films, mais je me rendis compte que la réalité était bien plus cruelle que la fiction...
Dans cette chambre sombre, j’essayai de m’accrocher à la moindre lumière pour ne pas entrevoir l’ombre d’une créature horrible. La seule lumière m’apparut être celle du petit bureau. Les rayons de la lune éclairaient de leur pâleur cet endroit au travers de la porte-fenêtre. Comme un insecte de nuit, je me sentais attiré par cette lumière, et m’assis sur une chaise en face. Juste en face de moi était ouvert un cahier, la page où il était ouvert était illisible, couverte d’un liquide séché rouge foncé… Je n’imaginais pas la quantité de sang qu’avait du cracher son auteur pour en arriver là.
L’idée de toucher ce cahier me répugnait, cependant je me dis que je pourrais peut être en apprendre un peu plus sur ce qui était en train d’arriver. Alors, du bout des doigts, sans que je puisse réprimer une expression de dégoût, je revenais au début du cahier.
« 4 janvier,
Moi qui avais toujours était très cartésien, attaché plus que tout aux valeurs scientifiques et rationnelles, je suis le seul à avoir découvert « l’indécouvrable ». Depuis que j’ai rencontré cet homme dans le café du coin à qui j'avais acheté ce livre, mes centres d’intérêt ont était profondément bouleversés. »
Par réflexe, je jetais un coup d’œil autour de moi pour voir si ce fameux livre ne traînait pas quelque part dans la pièce, mais je dus bien m’apercevoir que je n’en connaissais pas le titre ni même une quelconque description. Je repris la lecture, passant quelques pages devenues illisibles par le nombre d’annotations.
« 30 janvier,
Encore quelque ingrédients à trouver, et je pourrais la reproduire. Je n’arrive toujours pas à croire qu’une telle chose puisse exister, cela défie toutes les lois de la physique. Évidemment, je me suis bien aperçu que toutes ces recherches sur les arts occultes auraient pu me valoir une radiation à vie de la communauté scientifique mais… Cet ouvrage exerce sur moi une fascination comme rien d’autre ne l’avait jamais fait. Non pas que je me laisse contrôler par ma curiosité, mais des choses qui pourtant semblent aberrantes pour n’importe quel esprit rationnel, se sont pourtant confirmées lors de mes différentes expérimentations. Tout ce que dit ce livre n’est pas vrai, mais l’infime part de vérité qu’il contient vaut largement que je m’y risque.
S’il y a une chance d’ouvrir la Porte, ce que jamais un humain n’a pu réussir, j’y mettrais tout mon cœur pour y arriver, car à présent, j’y crois. Je ne pense bien que je serais le premier à le faire. La Lu...
Je m'arrêtais immédiatement de lire lorsque j'entendis un grand bruit provenant du palier, je crois. Il fallait pas que je me laisse piéger. Je pris sous mon bras le grand cahier tâché et je fonçais vers l'entrée de l'appartement. J'aperçus alors, non pas une, mais deux de ces aberrations de la vie. Je ne pris pas le temps de réfléchir, je fermais les yeux et fonçais en serrant le cahier dans mes bras comme un ballon de rugby. Je réussis à passer mais me cognai la tête contre le mur opposé sur le palier. Pour ne pas sombrer, je me concentrai sur le cahier occulte... Sauf qu'à cause du choc, il venait de tomber de mes mains et était en train de dévaler l'escalier en perdant des pages. Je devais le rattraper, c'était peut être ma seule chance de m'en sortir... En me tenant la tête d'une main et la rambarde de l'autre je descendis aussi rapidement que je pouvais, poursuivant ce cahier et fuyant les créatures que je venais de renverser. J'arrivai à l'étage du dessous, prêt à ramasser les feuilles et le cahier quand un autre mort vivant surgit de l'appartement le plus proche de moi. Je ne saurais décrire l'état de terreur dans lequel cette nouvelle rencontre m'avait plongé... Celui ci était non seulement plus laid et déformé que les autres, mais surtout, il avait débarqué devant moi en traversant la porte. Pas en la brisant, pas en passant au travers comme si elle avait été liquide. Je ne voyais plus grand chose, sauf un horrible visage qui essayait de m'étrangler...
Tout se passa très rapidement : Je me débâtis, je butai contre le bouton d'appel du vieil ascenseur, il s'ouvrit, je perdis l'équilibre et tombai en arrière avec le monstre. Étrangement, ce nouveau coup me réveilla, je vis mon agresseur à côté de moi, le torse dans l'ascenseur et les jambes sur le palier... Un sursaut de vie, j'agis instinctivement : Je me relevai et martelai mon ennemi de coup de pied jusqu'à ce que le plancher de l'ascenseur soit teinté de rouge, je sortis, j'appuyai sur le bouton du dernier étage, récupérai le cahier et continuai à descendre.
J'entendis alors le bruit le plus horrible de ma vie. Le genre de chose que l'on doit n'entendre que dans les tréfonds de l'Enfer. Un cri qui dura pendant au moins une minute et me paralysa pendant autant de temps... Il fallait que je m'accroche, ne pas céder à la folie... Je continuai à descendre et j'ouvris le cahier, une goutte de sang perla de mon front sur la feuille. Je tentai de l'essuyer, mais je ne fis que l'étaler, je ne fis plus attention à rien d'autre et je perdis à nouveau l'équilibre. Le temps que je mis à dévaler les escaliers me parut être une éternité, mais je ne sentais plus la douleur... Immédiatement lorsque je sentis que ma chute s'arrêtait enfin, tout devint rapidement noir. Avant... Je regardai dehors, je vis du rouge... Tout était fini...

J'ouvris les yeux. Je voyais un tas de silhouettes fantomatiques au dessus de moi. Je n'avais plus aucune force mais je tentais de lever la main pour voir si mes yeux ne me jouaient pas des tours. Peine perdue, j'arrivais à peine à mettre ma main à la verticale. J'avais la désagréable sensation de sentir l'air un tas de choses froides sur mon corps, comme si j'étais nu...
Mes oreilles ne percevaient que des bourdonnements. J'arrivais à comprendre des mots, mais je ne savais même pas si ces mots provenaient des silhouettes présentes, si elles m'étaient soufflés par ce courant d'air glacé. Peut être même que ce n'était pas mes oreilles, que ces mots étaient directement communiqués à mon esprit...

Noir...
Monstres...
Livre...
Meurtres...

J'étais fatigué d'essayer de comprendre, je sombrai une nouvelle fois dans l'inconscience avec une seule certitude : C'était la dernière fois que je me réveillais.

Deux ans plus tard :
_ Alors, comment allez-vous ce matin ?
_ Bien, bien.
_ Vous ne faites plus de cauchemars, ces derniers temps ?
_ Non, je dors mieux depuis quelques jours.
Il me jauge du regard pendant quelques seconde et note quelque chose sur une feuille devant lui.
_ Ce nouveau médicament vous a vraiment fait du bien à ce que je vois, vous avez l'air en forme.
_ Merci docteur, c'est un peu grâce à vous.
Il sourit et prends un air complaisant.
_ Vous n'avez pas à dire cela, c'est vous qui avez fait le gros du travail tout seul et avez beaucoup progressé ces derniers temps.
Je ne dis rien, mais je lui rends son sourire.
« Je pense que nous allons pouvoir démarrer dans peu de temps la dernière partie de votre traitement. »
_ Ca veut dire que... Je pourrais sortir bientôt.
Il sourit encore.
_ Je ne peux vous l'affirmer pour le moment : Vous êtes encore fragile émotionnellement. Mais je peux vous dire que d'ici quelques temps une...
Son téléphone sonne, il se détourne de moi, plus par convenance que par discrétion. Il raccroche et se retourne vers moi.
_ Je vous prie de m'excuser quelques minutes, on m'appelle depuis un autre bloc. Voulez-vous qu'un infirmier reste avec vous pendant ce temps ?
_ Non merci docteur, ça ira.
Il me jauge une nouvelle fois.
_ Très bien, j'en ai pour quelques minutes.
Il jette un dernier coup d'œil avant de passer la porte du bureau, puis il sort.
Il est parti.
Je ne sais plus vraiment depuis combien de temps j'ai passé dans cet enfer. Il faut que je tienne encore un peu. Jusque là j'ai pu les tromper, je leur ai fait croire que j'adhère à leur monde, que je leur appartiens. Ce monstre, aussi subtil qu'il soit n'y a vu que du feu. J'ai basculé dans leur réalité, le monde tel que je le connais a cessé d'exister... Je me souviens de ce que j'ai pu lire sur ce maudit cahier, ça ne fait aucun doute : J'ai passé la Porte... mais il faut que je tienne jusqu'à ce que je puisse enfin sortir... Et là, je leur montrerai... Je leur ferais payer ce calvaire... Je l'ai déjà fait, et je le referais jusqu'à qu'il n'y en ait plus un seul : Je les noierai dans leur sang, dans cette Astre de Sang, quoi qu'elle soit... Ils m'ont pris mon monde, je prendrai le leur...



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