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INSTANT HIVERNAL

Kallisto, le 17 décembre 2009
 
Un long manteau couleur de lait étouffe la ville, ses habitants et ses bruits. L'avenue est déserte, contrairement à son habitude. Les arbres nus, dévorés par le vent glacé ont revêtu un voile cotonneux, offert gracieusement par la neige.
Au loin, j'entends la vie citadine qui continue d'exister, malgré tout.
Cela fait plusieurs années que je n'avais pas vu de neige ici. Je dirais même que mon dernier souvenir d'hiver enneigé date de ma lointaine enfance, époque bénie où l'on avait pas encore à se soucier de l'état de ses chaussures ou de sa coiffure lorsque le temps se dégradait.
Je pose prudemment un pied devant l'autre, dans la bouillie grise laissée par le duel inégal des pieds humains avec la fragile couche de flocons. Une mince chemin sombre se dégage de l'immensité blanche. Il me semble bien plus désagréable à pratiquer et plus sale que le reste de la rue. Je dévie alors légèrement ma route et marche à petits pas sur la neige.
A chaque mouvement, j'entends un léger crissement, si caractéristique. Ce bruit déclenche en moi ses lointains souvenirs d'instant hivernal. Ce petit son suffit à me détendre. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais à chaque fois que j'entends la neige crisser, je tombe dans un état second, comme si je remontais le temps.
Je me penche vers le sol et saisit une petite quantité de neige. Le contact froid sur ma peau me réveille subitement, mais la chaleur de mes mains a bien vite raison du manteau blanc, et ce dernier se meut en une petite flaque d'eau, qui s'écoule entre mes doigts gelés. Je souris malgré moi face à cette réaction on ne peut plus chimique. Cela me rappelle tant de choses passées...
A nouveau, je me baisse, puis m'accroupis doucement. Je ressens alors de façon plus forte le froid qui m'entoure. Au diable mes occupations présentes, je peux bien m'accorder quelques minutes de répit !
Cette fois, je tente de façonner entre mes mains une boule de neige, que je jette ensuite mollement contre un arbre. Ce dernier s'en plaint en laissant tomber une petite pluie fine et poudreuse. Je ris timidement entre mes lèvres. J'ignorais que ce geste-là était si plaisant.
Ramassant de plus belle la neige, en une masse plus importante, je me relève pour la lancer au-dessus de ma tête et tournoie en riant. Je tire la langue pour happer quelques flocons imprudents. Quelle étrange sensation, à la fois douce et douloureuse, dans la bouche.
Je suis sur le point de recommencer le même manège lorsque je suis arrêtée par un phénomène étrange. Dans le caniveau, tout près de moi, m'apparaît une forme liquide indistincte et colorée. C'est en me rapprochant que je m'aperçois qu'elle suit mes mouvements. Intriguée, je m'abaisse vers le bitume humide, et écarquille les yeux de stupeur.
Un petit visage rond, entouré de boucles brunes me fixe de ses grands yeux clairs. Un bonnet de laine lui dévore à moitié la tête, tandis qu'une longue écharpe s'occupe de son cou. S'ensuit un manteau sombre dissimulant un petit corps, ne laissant entrevoir que de minuscules doigts repliés.
Je tends les mains vers cette apparition, qui me répond en m'imitant. Instinctivement, je regarde mes avants-bras, recouverts d'un énorme manteau en laine bouillie, le même que celui de la flaque. Je tâte alors hâtivement mon visage, et me rend compte que mes cheveux auparavant courts ont poussé de manière inattendue. Je retiens un cri de surprise. Quel est donc cet enchantement ? Serait-ce la neige ?
Je sens mon corps à la fois plus léger et plus maladroit. Mes mains, parées de petits et minces doigts s'évertuent à bouger frénétiquement pour éviter l'engourdissement.
Sur une formidable détente, je me jette sur un énorme tas de neige et me laisse tomber dessus, en remuant des bras et des jambes, afin de former un dessin abstrait dans la neige. Je ris à gorge déployée, le dos piqué par les lames rancunières des flocons blancs.
« Tiens, c'est toi, Norine ?
Je me tourne vers le lieu d'où provient la voix. Un homme emmitouflé à l'excès me regarde, le menton levé.
- Qu'est-ce que tu fais là ? T'as pas peur de choper une pneumonie comme ça ?
Je me relève, avec une forte impression de lourdeur.
- Bonjour, Jacques. Je profitais un peu du temps, je bredouille.
- En effet, soupire-t-il. T'es bien d'ailleurs la seule à te ridiculiser comme ça. Il faudrait peut-être que tu grandisses un peu, ma vieille. »

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