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Histoire du dragon d'or.

Tchoucky, 2000

Il s'appelait Shinji. Lorsqu'on parlait de lui dans les villages, on l'appelait Shinji-aux-mains-rouges, tant il avait tué de voyageurs pour les détrousser. Il était fort comme dix samouraïs aguerris ; au sabre comme au gourdin, il n'avait pas encore trouvé son maître. Malheur à qui s'attardait le soir dans les montagnes ! Les marchants ambulants redoutaient moins l'orage et les bêtes féroces que le seul nom de Shinji-aux-mains-rouges.

Il errait seul dans les montagnes, sans alliés ni complice : il n'en avait pas besoin. A lui, seul, il parvenait à défaire une armée entière. Face à lui, la fuite était le meilleur recours, car sa force n'avait d'égale que sa cruauté et tout combat contre lui était un combat à mort.

Un jour, son errance sanguinaire le conduisit au pied de la montagne au sommet de laquelle vivait le sage Wang-Ling. C'était un homme très vieux dont la renommée était grande. On venait de loin, d'au-delà des frontières pour lui demander conseil. Certains de ceux qui le consultaient étaient très riches et payaient ses conseils de riches présents qu'il gardait chez lui pour partager avec ses visiteurs les plus pauvres. Bien sûr, ces trésors excitaient la convoitise des voleurs, mais on racontait que l'humble maison du vieux Wang-Ling était défendue par un dragon, un gigantesque dragon aux écailles d'or, aux yeux couleur rubis et aux naseaux ardents, qui mettait en fuite tous ceux qui s'approchait pour dérober les trésors du sage.

Mais ces rumeurs n'inquiétaient pas Shinji. Quand bien même le dragon existerait-il vraiment que le brigand se sentait bien assez fort pour l'affronter !

Son sabre dissimulé sous le manteau, il gravit l'étroit sentier qui menait à la maison du sage. Il était près à se battre, quitte à y perdre la vie. Shinji-aux-mains-rouges n'avait pas peur de la mort. Shinji-aux-mains-rouges n'avait peur de rien.

Tous ses sens, cependant, étaient en alertes. Il guettait le moindre mouvement de la végétation.

Et soudain, au détour d'un buisson voilà qu'il aperçut… Une magnifique jeune fille qui venait vers lui en souriant.

Elle avait le teint blanc et satiné comme une fleur de cerisier. Ses yeux en amandes étaient deux grains d'onyx polis. Son sourire avait quelque chose d'un soleil couchant sur la mer.

- Que viens-tu faire en ces lieux, étranger ? dit-elle, et sa voix était la mélodie du vent dans les branches de cerisiers.

Shinji tremblait. Lui qui n'aurait pas reculé devant une centaine de soldats en armure, il tremblait devant une paire d'yeux en amande.

- Je… Je viens voir Wang-Ling, balbutia-t-il.

- Tu es sur le bon chemin. Continue à grimper, ce n'est plus tellement loin.

Shinji contempla avec ravissement cette main douce et fine qui lui indiquait le chemin.

- Qui es-tu ? demanda-t-il.

- Je suis Wai-Lan, la fille adoptive de Wang-Ling. A l'heure qu'il est, tu le trouveras sur la véranda en train de boire le thé. Hâte-toi !

Et avant qu'il n'ait eu le temps de demander autre chose, elle était déjà repartit, sautillant plus que courant, comme une fée qui s'envole.

Elle avait disparut si vite, qu'il se demanda un instant s'il ne l'avait pas rêvé. Mais il reprit ses esprits et comprit qu'il venait de se mettre à aimer. Il décida que la belle Wai-Lan devait devenir sa femme et que rien ne pourrait empêcher cela.

C'est avec un pas ferme et décidé que Shinji acheva de gravir la pente jusqu'à la maison du sage.

Il trouva le vieil homme en train de boire le thé sur la véranda de sa demeure, ainsi que l'avait indiqué la jeune fille.

- Wang-Ling, lui dit-il en s'agenouillant devant lui, J'aime ta fille Wai-Lan et je viens te demander sa main.

Le sage Wang-Ling ne leva pas les yeux de son bol de thé.

- N'es-tu pas Shinji, le brigand, demanda-t-il, celui qu'on nomme Shinji-aux-mains-rouges ?

- Comment le sais-tu ? Demanda Shinji. Je ne t'ai jamais vu.

- Je le sais. Répondit le vieil homme. Et je sais également que tu es indigne de Wai-Lan.

- Je suis le plus redouté des brigands qui rodent dans ces montagnes ! cria Shinji. A moi seul, je peux défaire une armée entière !

Indifférant à la colère du brigand, le sage Wang-Ling répondit d'une voix calme :

- Tu es une bête sauvage et sanguinaire, et ma fille Wai-Lan est la perle des perles, précieuse entre toutes les précieuses, la rosée de midi, la fleur hivernale. Tu ne l'auras pas.

Shinji-aux-mains-rouges tira son sabre et menaça la gorge du vieil homme qui ne bougea ni ne cilla devant la menace.

- Ecoute-moi vieillard, rugit le bandit, ce que je veux, je le prends, m'entends-tu ? Et cela, de gré ou de force.

- Tu peux me tuer, répondit Wang-Ling tranquillement, je ne te donnerais pas ma fille. Mais sache que tu regretteras bientôt toutes tes félonies.

Au comble de la fureur, Shinji lui coupa la tête. Au moment où il se penchait sur le corps de sa victime, le bandit entendit un cri déchirant et en relevant la tête, il crut entrevoir la silhouette d'une jeune fille qui se sauvait.

- Wai-Lan ! appela-t-il.

Il partit à sa poursuite mais la jeune fille avait disparut.

- Wai-Lan !

Il partit à sa recherche mais ne la trouva pas. Quand la nuit se mit à tomber, il dut bien admettre qu'elle lui avait échappé. Il fit donc demi-tour et se rendit dans la maison de Wang-Ling pour s'emparer des trésors qui s'y trouvait.

Après avoir tout entassé dans son grand sac, il le chargea sur son dos et commença à descendre la montagne. Il ne repartait pas les mains vide mais son coeur était plein d'amertume et de dépit. Il repensait au doux visage de la belle Wai-Lan et cela le rendait furieux.

Et soudain, à la lueur de la lune et des étoiles il aperçut… Un gigantesque dragon aux écailles d'or, aux yeux de braises, qui l'attendait au bord du sentier. Il se précipita sur lui, menaçant. Shinji tira son sabre et se défendit de l'attaque du dragon avec toute sa rage. La bête ne devait pas avoir déjà eut d'adversaire aussi vaillant.

Le combat dura toute la nuit. Les étoiles commencèrent à pâlir, enfin l'homme parvint à planter son sabre en plein milieu du thorax de la bête. Dans long gémissement d'agonie, le dragon s'écroula. Shinji poussa un rugissement de triomphe.

C'est alors qu'il vit le cadavre de l'animal rétrécir, rétrécir et reprendre peu à peu forme humaine. Le premier rayon du matin éclaira le corps d'une jeune fille morte, le coeur transpercé par un sabre. Shinji poussa un cri de désespoir en la reconnaissant.

C'était la belle Wai-Lan, qui changée en dragon, protégeait la maison de son père des voleurs et des assassins. Folle de douleur, elle était revenue venger le vieux Wang-Ling et y avait trouvé la mort.

- Wai-Lan… Wai-Lan… gémissait Shinji.

Mais il était trop tard.

Alors le brigand prit le corps de la jeune fille dans ses bras et la porta jusqu'à la maison pour la coucher auprès de son père. Il creusa une tombe et les y déposa tous deux. Puis il partit.

A partir de ce jour, on entendit plus parler de Shinji-aux-mains-rouges dans les montagnes. Mais un mystérieux pèlerin voyageait de village en village les bagages chargés de bijoux qu'il distribuait au plus pauvres. Quand il n'eut plus de bijoux à distribuer, il mit sa force surhumaine au service de tous ceux qui en avaient besoin. Il vécut longtemps se consacra au bien aussi longtemps qu'il vécut.

Puis, un matin, on le trouva mort dans la neige. Près de lui, se trouva la besace dont il ne se séparait jamais. En l'ouvrant, on découvrit une magnifique statuette d'or en forme de dragon. Il l'avait fondue avec les dernières pièces de son trésor et utilisé ses deux derniers rubis pour les yeux. Le socle de la statuette était creux et contenait un rouleau de papier sur lequel celui qui s'était appelé autrefois Shinji-aux-mains-rouges avait écrit son histoire, telle que je viens de la raconter.

Certains pourront la trouver cruelle, mais elle prouve que même les coeurs les plus durs sont capables d'aimer, d'aimer d'un véritable amour.


 


 

Fin


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