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Claude Lupus et les beaux-parents

Sebrich, 12 aout 2007



Ding dong

« Voilà voilà, j’arrive !

Quand la porte s’ouvrit, je fis un grand sourire à Isabelle qui se tenait devant moi, en tenue de soirée.

_ Ah te voilà, dit-elle avec un magnifique sourire.

Elle se jeta à mon cou et m’embrassa assez longtemps.

_ Je t’en prie, entre, entre, dit-elle en se retirant avec tristesse de mes lèvres.

Je lui fis un sourire charmeur, et passa dans l’embrasure de la porte de chêne qui appartenait à la famille Jackobson, la maison allant avec, bien entendu. L’entrée donnait la même impression que l’extérieur : famille riche, base venant du 19ième siècle, rajout purement moderne, piscine, cours de tennis et ainsi de suite.


Je frottais mes pieds assez nerveusement sur le tapis dont je m’étonnais de l’inscription. Un « bienvenu » entouré de petits cœurs paraissait incongru dans une maison aussi chic. Derrière moi, Isabelle referma la lourde porte de chêne en tournant la clé à double tour.

_ C’est vraiment gentil d’avoir accepté de rencontrer mes parents, dit-elle en se plantant devant moi. Tu sais, ils sont très portés sur les vieilles politesses d’autrefois.

_ Je m’en doutais un peu, dis-je en regardant les portraits austères qui me fixaient de regards noirs. Mais tu sais, je suis un peu mal à l’aise dans ce costume.


J’étais habillé d’un costume noir classique, avec une cravate noire m’étouffant à moitié. Celle là, je sentais qu’elle finirait bien vite dans mon bol de soupe.


_ Moi je trouve que ça te donne un charme fou, enfin plus que d’habitude.

Elle se mit à tenter de me coiffer mes cheveux devenus argentés depuis mon « accident ». Bizarrement, même en allant chez le coiffeur, ils avaient toujours l’intention de se rebiffer contre les envahisseurs à dents de plastique.


_ Ah lala, tu aurais pu faire un effort au moins, me gronda-t-elle. En plus, tu ne t’es même pas rasé.

_ Mais si, il y a une heure à peine, me défendis-je.

_ Ne me mens pas, tu piques comme un hérisson !

_ Mais je croyais que je te plaisais comme ça chérie, dis-je avec mon sourire étincelant.

Elle rit nerveusement et m’embrassa furtivement. Puis elle me prit la main et m’emmena à travers le salon, fauteuils de cuir et écran plasma inclus, pour finalement arriver à la salle à manger. La pièce donnait bien l’impression de faire partie du reste de la maison : du chêne partout, des commodes le long des murs, en chêne, cela va de soi, et quelques peintures aux murs représentant des coupes de fruits ou des fruits solitaires, à croire que le décorateur n’avait pas beaucoup d’imagination.


_ Je te présente mon père, Henry Jackobson.

L’homme était de fort belle prestance. L’air droit, comme les chênes tenant tête au vent violent, le regard fier de ses ancêtres, et un visage à l’air accueillant, trahi par certains mouvements compulsifs de ses arcs sourciliers.

_ Bonsoir jeune homme, me dit-il en me tendant la main.

_ Je suis enchanté de faire votre connaissance, monsieur, dis-je avec mon sourire.

_ Tout le plaisir est pour moi, reprit le père, semblant se décontracter un peu, comme s’il était heureux de voir que je n’étais pas un voyou des banlieues, tel qu’il en voit seulement à la télé.

_ Et voici ma mère, Mathilda.

_ Je suis honorhée de faire vhotre connaissance, dit-elle d’un air enjoué et en tendant la main, le poignet relâché.

Elle portait une longue robe rouge, à bords froissés, comme les anciennes cantatrices de l’époque de Mozart.

_ Moi de même madame, fis-je en baisant sa main, me retenant de rire devant le nombre de « h » que je venais d’entendre. Je vois d’où vient la beauté d’Isabelle.


Un silence m’indiqua que je venais de faire une boulette.

_ En véhérité, je ne suis que sa bhelle-mère, dit-elle d’un air soudain hautain.

_ Oh excusez moi, je ne savais pas, me rattrapais-je d’un air confus.

Isabelle me regarda, l’air de dire « Tiens-toi tranquille jusqu’à la fin au moins ! »

_ Hum bon, dit le père en s’éclaircissant la voix, nous pouvons passer à table.

Je m’assis sur une chaise, en chêne évidemment, en priant le ciel de bien vouloir me venir en aide.


_ Alors, donc, me dit le père à l’autre bout de la table, vous poursuivez les mêmes études que notre fille ?

_ Oui, répondis-je, soulagé de pouvoir discuter de choses où j’aurais pied, et je dois avouer qu’elle est vraiment intelligente, et très sérieuse dans son travail.

Ils souriaient tous maintenant. Ouf, on dirait que je pourrais m’en sortir avec les flatteries. Je baissais le regard pour voir le service de table, et mon sourire se figea. J’avais pensé à tout, sauf à ça. Satané riches avec leur satané service de table de riches.

_ Et vous même, êtes vous assez assidu dans vos cours ? continua la père.

_ Oh oui, papa, c’est même lui qui m’a aidé pour les partiels. Il est très intelligent, conclut-elle d’un grand sourire.

Je lui souris en retour, me retenant de suer à grosses gouttes. Comment vais-je faire ? Et qu’est ce qui m’a pris de venir à moins de 4 jours avant la pleine lune ?

_ Oh, alors c’est qu’il doit être très fort. Et que faisait votre père ? Ingénieur ? Ecrivain ? Astronome ?

_ Euh non, en fait, il était berger.


Le silence de riche revient. Je vis Isabelle me faire une grimace contrite


_ Bherger ? demande la mère, étonnée par l’étrange sonorité du mot.

_ Oui, oui, tout à fait, berger, dans les montagnes des Alpes. Je sais que ce métier n’est plus d’actualité, mais il faut bien que quelqu’un les garde n’est ce pas ? demandais-je de mon sourire.

_ Ou-ui, répondit avec circonspection le père.

Bon, pour le métier du père c’est raté. Reste plus que l’intelligence du fils.


Pendant la demi-heure qui suivit, je me mis à discuter du courant littéraire des Lumières avec le père, qui semblait très intéresser. Pour ce qui est de la mère, elle papotait tranquillement avec sa fille, mettant des « h » à tors et à travers dans ses phrases, sauf quand elle s’énervait, concernant ses secrétaires, comme si elle oubliait deux secondes son rang. Puis vint le moment du dîner.



_ Voici le menu de ce soir, dit un domestique en déposant des assiettes sur le centre de la table. Côtes d’agneaux dans son lit de coulis de tomate.

La bave me vint automatiquement à la bouche. Je me mis à déglutir rapidement. J’étais trop près de la pleine lune. Dernière fois que je sors aussi près, dernière. Je me mis à respirer calmement, comme me l’avait enseigné ma cheftaine.

_ Cet agneau vous rappelle de bons souvenirs ? demanda le père en riant tout en coupant sa côte.

_ Oh si peu, si peu. Vous savez, quand on voit un agneau, on les a tous vu, dis-je avec un sourire nerveux. Je me demandais toujours comment faire, je me mis à jouer avec la serviette quand j’eus une idée.



Plusieures heures plus tard, j’étais dans le salon, discutant tranquillement avec le père, qui semblait m’avoir à la bonne. Et grâce à mon ouïe fine, j’écoutais aussi la discussion des femmes dans la salle à manger.

« Il est vraiment bien ton petit ami » entendis-je venant de la mère, qui avait laissé tomber les « h » depuis le 5ième verre de gros rouge.

« Oui, je sais, dit Isabelle gaiement, c’est pour ça que je sors avec lui »

« Mais quand même, tu le trouves pas un peu bizarre ? »

« Ben un peu, mais ça fait partie de son charme »

« Par exemple, son nom. Claude, ça d’accord, mais Lupus, tu sais que ça veut dire « loup » en latin ? »

« Oui oui je sais, dis la voix d’Isabelle d’un air las, mais ce n’est pas de sa faute s’il s’appelle comme ça »

« Et puis il y a sa façon de manger qui est bizarre »

« Que veux-tu dire ? »


« Beeeen… tenir les couverts en argent avec les serviettes… »


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